Chapitre 22

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LUKE

Prendre du recul. Voilà ce qu'il me fallait.

Trop d'informations se bousculent dans ma tête. J'avais besoin de m'éloigner du domaine des Jasper, même si ce n'est pas mon jour de congé. J'ai décidé d'emprunter le fameux chemin de randonnée devenu interdit pour le public.

J'ai revêtu un pantalon de jogging, un sweat à capuche, et je transporte un sac avec l'essentiel : de l'eau, des barres de céréales, et mon téléphone chargé.

Je suis sorti juste après le déjeuner, j'ai d'ailleurs croisé Tania qui m'a demandé où je prévoyais d'aller dans cette tenue. Je n'ai pas voulu le lui cacher, après tout elle reste ma responsable officieuse. Même si je ne suis pas rassuré qu'elle soit au courant de mon emploi du temps.

La montée n'est pas difficile pour l'instant. J'ai longé le lac situé derrière le manoir, puis j'ai plongé dans la forêt. Pour le moment, je n'ai pas vraiment une vue exceptionnelle, juste des conifères typiques de la région montagneuse.

Je continue mon ascension en essayant d'organiser mes pensées. Entre mon attirance envers Séléné, nos dérapages, et le mystérieux inconnu et ses menaces, je suis un peu perdu. Les interrogatoires n'ayant rien donné, j'ignore toujours ce que prévoient Simon et Tania. Parce que j'en ai la certitude, ce sont eux les auteurs du sang, des pneus crevés et du mot. Mon instinct ne me fait jamais défaut.

Pour l'instant, je n'arrive juste pas à déterminer la raison de leurs actes. Et leur surveillance constante de Séléné m'inquiète encore plus. Ils ne veulent pas la laisser partir. Si on ajoute à cela, le silence de mes employeurs, rien ne va chez les Jasper.

Si j'étais moins courageux, j'aurais récupéré mes affaires et j'aurais fui loin du Colorado. Cependant, je ne supporte pas l'idée d'abandonner Séléné à son sort, seule face avec possiblement deux vautours qui lui tournent autour pour se repaître de sa carcasse.

Un peu plus d'un mois que je suis arrivé, et chaque jour est une nouvelle découverte de la personnalité de ma patiente, si je peux encore l'appeler ainsi. C'est vrai que nous avons dépassé le stade de la relation professionnelle. Surtout depuis que j'ai glissé mes doigts en elle. Quelle sensation grisante. J'étais tellement pris dans la frénésie de ma colère et de mon désir, que je n'ai pas été délicat.

Un animal.

Le chemin devient plus abrupt et la courbe naturelle des arbres me cache le ciel. On a l'impression que la nuit est tombée dans les bois. Je commence à transpirer, malgré l'allure tranquille de mes pas.

C'est au bout d'une bonne heure de marche que l'endroit s'éclaircit, je dois être proche du sommet. Je passe une dernière rangée d'arbres et atterris sur un plateau pourvu de fleurs sauvages. L'endroit ressemble plus à une clairière qu'à une crête de montagne, mais cela reste magnifique, surtout avec ce ciel grisâtre qui donne au lieu une ambiance presque chimérique.

Je me dirige vers le bord, et ce que je découvre me coupe le souffle.

J'ai une vue dégagée sur le domaine, en fond les montagnes enneigées, et en contrebas le manoir, le lac et les jardins. Le cadre est juste somptueux.

La fontaine est toujours visible malgré l'altitude, ce qui me stupéfie c'est la forme que prennent les buissons qui courent jusqu'à la limite des grilles qui entourent le terrain : ils forment la triple lune, symbole des déesses Artémis, Séléné et Hécate. C'est en admirant ce chef-d'œuvre que je prends conscience que mes employeurs aimaient sincèrement leur fille, au point de créer leur maison à son image. Ils souhaitaient lui rendre hommage.

Est-ce que Séléné est au courant de ce symbole juste devant ses fenêtres ? Car même depuis les étages du manoir, il est impossible de déceler la forme que prend le jardin. C'est bien trop discret et minutieux. Il faut prendre de la hauteur pour le découvrir.

Lune de sangWhere stories live. Discover now