Chapitre 17

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SÉLÉNÉ

J'ai passé la journée dans la bibliothèque, loin du soleil. Les doubles rideaux en velours me cachaient la moindre parcelle de ciel bleu. Malgré les filtres UV, je n'avais pas le cœur à admirer la lueur jaune du jour.

J'ai préféré m'enfermer dans un roman fantastique peuplé de vampires, aux crocs acérés. Une lecture sombre à l'image de mon humeur.

Tania est venue me réveiller ce matin, et en dépit de son sourire avenant, je l'ai ignorée toute la matinée. J'ai pris mon petit déjeuner seule, je ne la voulais pas à mes côtés. Elle n'a pas insisté et s'est vite retirée dans ses quartiers après avoir vérifié que je prenais ma dose quotidienne de rétinoïdes et de vitamines.

Je suis au courant que Luke est absent, après tout c'est son congé hebdomadaire et il a sûrement besoin de souffler loin de cette atmosphère étouffante. Que fait-il en ce moment ? Est-il de retour à Hill Forest ? A-t-il revu cette femme, Elisa ?

Je secoue la tête pour évacuer ces questionnements qui risquent de me déprimer encore plus que je ne le suis déjà. Je tente de me replonger dans l'intrigue du roman pour éviter de ressasser les derniers événements.

C'est lorsque la porte s'ouvre sur Tania que je constate l'heure. Le soleil s'est retiré au profit de la nuit. Je me relève du sofa et tire sur le tissu dissimulant la fenêtre.

Pendant quelques instants, je fixe les nuages trop nombreux pour apercevoir quoi que ce soit, puis la brise dégage la vue et je la vois apparaître. Ma seule véritable amie : la lune.

Elle et moi avons une relation tourmentée. Elle me fascine autant qu'elle m'effraie, car elle me rappelle tout ce que je ne pourrais jamais être.

Une femme libre évoluant sous les rayons du soleil.

J'envie Elisa et sa peau bronzée, Tania et son bonheur avec Simon, je suis même jalouse des écureuils du parc qui peuvent gambader toute la journée dans la nature sans avoir besoin de se cacher dans l'ombre.

Lors de notre premier dîner avec Luke au moment de son arrivée, il a plaisanté sur mon cas clinique, m'appelant « vampire ». Cela m'avait profondément blessé, toutefois il n'avait pas tort. Je ressemble sensiblement à ces créatures de la nuit, excepté que je ne me nourris pas de sang, mais de mots. Ceux qui emplissent les étagères de cette bibliothèque. À défaut de pouvoir échapper à ce manoir, je vis à travers la lecture et la musique. Je fantasme sur une autre destinée, dans laquelle je serai heureuse, en couple, peut-être même avec des enfants.

J'en voudrais deux.

Une fille et un garçon.

Je ferme les yeux, et les imagine presque à mes côtés, courant dans les allées du jardin, pendant que monsieur installerait la couverture sur l'herbe tondue. Puis nous pique-niquerons en famille, sous la lueur ardente de l'astre solaire. L'homme survolerait mes lèvres d'un baiser à la fois léger et passionné. Il me susurrait des mots doux à l'oreille, et le soir venu il me prendrait sauvagement dans la chambre à coucher.

— Mademoiselle Séléné, le dîner est servi.

La voix de mon intendante me rappelle à l'ordre et je quitte le songe d'une vie utopique.

— J'arrive, réponds-je en observant une dernière fois la pleine lune, avant de lui tourner le dos.

Je m'approche de Tania qui s'écarte pour me laisser passer la porte la première. Nous descendons les escaliers, ma chambre n'est plus très loin.

— Juste le temps de récupérer une veste chaude, et nous pourrons rejoindre le jardin. Avez-vous installé la table sous le kiosque ?

Lors de mes dîners de pleine lune, j'aime changer d'endroit. Parfois la roseraie, le kiosque et même sous les pommiers. C'est comme si je découvrais chaque fois l'astre sous un nouvel angle de vue.

Lune de sangWhere stories live. Discover now