Chapitre 9

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SÉLÉNÉ

I'm a just girl.

I'm just a girl in the world*

J'écoute cette musique en boucle dans ma chambre.

La nuit dernière, alors que j'étais plongée dans une fantasy peuplée de Faes, j'ai entendu les cris. Ce qui ne me surprend pas vraiment, j'ai l'habitude. Cette demeure est organique. Il m'arrive même de penser qu'elle vit à travers moi, comme si le climat du manoir était semblable à mon humeur, ou que cette habitation pouvait sentir mes émotions et y répondre. C'est une sensation étonnante. J'ai souvent entendu des choses étranges, lorsque j'étais encore enfant, j'étais effrayée par ces phénomènes curieux. Ma mère m'avait expliqué que le manoir était ancien et qu'il arrivait que des bruits incongrus viennent perturber mon sommeil, mais que ce n'était pas dangereux. C'est vrai que depuis quelques années, ces manifestations sont plus régulières et montent en intensité, sans parler de cette présence que je perçois quelquefois derrière mon épaule. Le fruit de mon imagination, peut-être ? En tout cas, je m'y suis acclimatée, et je ne relève plus.

Je ne me suis donc pas inquiétée la nuit dernière, lorsque j'ai reconnu la voix de Tania. Ce n'est pas la première fois que je l'entends, parfois même ce sont des gémissements et j'imagine que Simon est avec elle dans ces moments. Foutu couple d'intendants qui peut s'accoupler librement. J'aimerais vivre ça aussi. Cet instant où deux corps se complètent, où plus rien ne compte sauf le plaisir charnel que l'on s'offre mutuellement. Une sensation totalement inconnue pour moi. Depuis son arrivée, je m'imagine des scènes érotiques en compagnie de mon infirmier et je ne sais pas si je dois m'alarmer sur ma santé mentale. Je rêve de passer ma main dans ses cheveux, d'effleurer ses lèvres pleines, de lui arracher un soupir de satisfaction.

En revanche, ce qui m'a contrarié, c'est d'apercevoir le taxi s'éloigner d'ici hier soir, avec à son bord, mon infirmier. Est-ce que mon apathie a eu raison de lui ? A-t-il eu besoin de souffler loin de sa patiente ; moi ? A-t-il rencontré une femme normale, qui s'épanouit sous les rayons du soleil ?

Je secoue la tête pour chasser ces pensées et me concentre à nouveau sur la mélodie qui résonne dans la pièce.

Alors, non. Je n'ai pas cherché à comprendre ce qu'il s'était passé hier soir. Probablement, un rat qui souhaitait un abri loin du vent. Ce ne serait pas la première fois que des rongeurs viennent élire domicile ici, le temps de l'hiver. Le manoir est un vrai gruyère, malgré l'entretien régulier, il se détériore de jour en jour, à l'image de mon état. Je sais que j'ai une date de péremption tel un produit de consommation. Mon esprit s'étiole de rester enfermé ici, et mon corps si mince risque un jour de me lâcher. Ce n'est pas le soleil qui me tuera, mais cette cage dorée dans laquelle je vis depuis mon enfance.

I'm just a girl,
Guess I'm some kind of freak
'Cause they all sit and stare
With their eyes
I'm just a girl**

Des paroles qui me rappellent ma condition. Je suis une exception, une aberration, restant derrière l'enclos qu'est ma vie alors que le reste du monde déambule devant mes barreaux.

Seulement, parmi ces personnes, il y en a une qui brille plus que les autres et m'attire. Il me donne envie de casser les chaînes qui me retiennent à cette maison, à ma vie.

Luke.

Même si j'ai conscience que mon attrait soudain pour cet homme est précipité, je n'ai aucun contrôle sur mes émotions. J'ai toujours vécu seule, ou presque si l'on ne compte pas mes parents ou le couple d'intendants. L'attirance, le sexe l'amour sont des concepts qui me sont étrangers. Lorsque j'ai vu Luke à la porte d'entrée, c'est comme si un verrou s'était débloqué en moi. Une vague d'espoir m'a submergé, l'univers me laissait enfin la possibilité de vivre quelque chose. Et peu importe ce que c'est, j'ai envie d'y plonger aveuglément.

Lune de sangDonde viven las historias. Descúbrelo ahora