Chapitre 10

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LUKE

Je commence à regretter d'avoir accepté ce poste. La remontrance de Tania me reste encore en travers de la gorge. Que me cache-t-on ? Parce que je n'ai clairement pas toutes les informations concernant cette demeure ou ma patiente.

Pourquoi interdire à Séléné de sortir ? La journée, oui, j'ai bien saisi, je ne suis pas idiot. Mais le soir venu, qu'est-ce qu'il l'empêche de s'échapper de cet enfer ? D'autant plus, qu'elle ne serait pas seule, je l'accompagnerais en tant que chaperon.

Est-ce qu'il est encore de temps de faire machine arrière ? De repartir en Floride, loin des montagnes du Colorado qui cachent bien des mystères ?

Puis je repense à Séléné, dont la solitude doit lui peser, et je me corrige. Non, il n'est pas question que je fuis. Cette femme a besoin de moi, de vivre. Et si je dois enfreindre quelques règles, je n'hésiterai pas.

Certes, je me suis rangé, mais mon côté rebelle est toujours présent en moi. Ma mère revendiquait mon caractère bourru et contradictoire. Elle disait que jamais je ne me laisserais marcher sur les pieds, que c'était une force face à l'adversité. Je ne peux pas lui donner tort.

Séléné est seule, comme moi je l'ai été pendant des années. Finalement, nous nous rassemblons bien plus que je ne le pensais. Excepté que moi je suis libre.

Sa maladie l'enferme déjà dans un quotidien difficile, et j'ai comme l'impression qu'elle-même se met des barrières et que la vraie Séléné est cachée derrière toutes ses couches de douceur. Elle se plie aux demandes du couple d'intendants sans broncher, sans répliquer, comme si quelque part, elle était morte à l'intérieur.

Pourtant, lorsque je l'observe à son insu pendant ses lectures ou ses séances de piano, je vois bien cette lueur de feu qui ne souhaite que s'exprimer.

Je suis son infirmier, non ? C'est mon rôle de l'aider, de la révéler. Séléné doit s'épanouir, et si pour cela je dois prendre des risques, je le ferai.

L'enfant de la lune doit se transformer en déesse de la nuit.

Pour calmer la colère de Tania, je ne tente rien la première semaine. Ni la seconde. Je veux endormir sa méfiance. Je me contente donc de divertir Séléné. Nous passons nos après-midi à jouer aux échecs – dont elle m'a appris toutes les combines –, parfois elle me joue un morceau d'un célèbre compositeur au piano, et nous terminons notre journée par un tour dans le parc, à la tombée du soir.

Malheureusement, il pleut énormément ces derniers temps et les sorties dans le jardin se raréfient.

Parfois, ma patiente se retire dans sa chambre et j'en profite pour fouiller le manoir. J'ai d'ailleurs repéré un vieux tacot situé dans une grange, juste à côté du portail d'entrée. Hier matin, lorsque tout le monde était encore endormi, je l'ai testé et il fonctionne bien malgré son âge. Je suppose que Simon ou un autre employé s'en sert occasionnellement. Pourquoi Tania ne m'en a pas parlé ? C'est idiot de dissimuler un tel véhicule.

Concernant le fameux sang retrouvé dans ma chambre, j'ai fait chou blanc. Avec le recul, je ne m'empêcher de me dire que c'était un avertissement. Le problème, c'est que je ne sais pas lequel. Depuis, il n'y a plus eu d'incidents. Enfin, sauf ces bruits incessants que l'on peut percevoir au milieu de la nuit. Des sifflements, comme si le vent pénétrait dans les différentes pièces, des murmures au détour d'un couloir, parfois même des gémissements. Impossible d'en déterminer l'origine : souffrance ou plaisir.

Étonnamment, je me suis habitué à cette ambiance particulière. En fait, il se dégage des lieux un envoûtant parfum de danger, et à la fois je me sens en sécurité dans cette obscurité presque permanente. Comme si je me cachais de moi-même.

Lune de sangWhere stories live. Discover now