Chapitre 1 ✔️

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E N E K O


           La porte claqua et résonna comme le point de non-retour. La vie d'être humain n'avait pas pu me convaincre. Dix-huit ans après mes premiers pleurs, enfin mon futur se dessinait devant moi. Enfin, je savais ce qu'il me préparait. Enfin, je le contrôlais, et cette fois, je ne rebrousserai pas chemin.

Les poings enfoncés dans mes poches décousues, je laissais mes chaussures glisser sur les marches. Une fois dehors, ma déception éternelle s'éveilla : pas une âme n'arpentait la rue. Ma dernière balade m'ennuierait... comme celles qui l'avaient précédée.

Pas grave. Le pont de l'Arche m'attendait.

Sur le chemin, je me surpris à m'accrocher aux petites beautés qui animaient Arkan, du chat égaré aux brins d'herbe virevoltants. La futilité de cet acte me frustrait. Ce n'étaient pas elles qui me retiendraient dans cette société matérialiste. Certes, j'appréciais les admirer de temps à autre, mais en retour ? Elles m'ignoraient, à l'instar de tous et tout. Elles s'adonnaient à la tâche que Dame Nature leur avait confiée, sans prêter garde à la bombe à retardement que l'on avait enfoncée dans mon torse.

Cette dernière me signalait son explosion imminente. La douleur me broyait le cœur, qui peinait à tenir. Pourquoi avais-je mal ? Non. Je refusais de regretter cette décision. Je ne retournerais pas à la maison, point !

À l'approche du pont, le vent s'intensifiait. Ses griffes rougissaient mes joues et la terreur grondait, à chaque pas de plus en plus fort. Décidément, les morts semblaient avoir hâte de m'accueillir. Je comptais bien écourter leur attente. Même le premier charpentier, celui qui était tombé sur l'asphalte fumant plus bas lors de la construction du pont, badinait à l'idée de me voir.

Du moins... Je l'espérais. Il en avait vu, des corps s'éteindre là-dessous. Les gens venaient pour cela, après tout. Cela le lassait peut-être.

Un soupir m'échappa, mais il était là, décoré d'un ciel ténébreux — un ciel dont la lourdeur écrasait mes rêvasseries. Insensées, elles n'avaient plus leur place dans ce monde. Seule l'obscurité y restait réaliste.

Les parois s'élevèrent, mes doigts caressèrent la rambarde rugueuse. Des âmes déchues y avaient inscrit divers messages.

« La vie est belle. Réfléchis à deux fois avant de le faire. »

« Tu vas nous manquer. N'oublie jamais ça. »

« J'ai sauté le 21 juin. »

Je ne pus m'empêcher de glousser. Un mois plus tard, mes pieds fouleraient la même pierre que celui-ci. Au diable les sécurités. Les autorités avaient beau les renforcer chaque année, une rapide escalade suffisait pour atteindre la bordure du pont où les dernières secondes maudites s'écoulaient.

Je m'exécutai.

Plus bas, la route s'élargissait. Les voitures dansaient une valse macabre entraînée par leurs grognements.

Mes dents claquaient. Je luttais pour franchir l'autre côté, mais mes muscles hurlaient de terreur. Bordel. J'étais venu de mon plein gré ! Je ne devrais pas trembler autant !

— Les fantômes, soyez sympas et aidez-moi au lieu de me faire peur, murmurai-je.

Mes paupières s'écrasèrent contre mes cernes violacés et je soupirai. Malgré la saison, le froid dominait la nuit. Entre deux souffles, un spectre jovial tentait de pousser mon corps à sa fin — les poils hérissés, je le laissai faire.

Lorsque j'ouvris les yeux, mes mains étaient accrochées à la barrière derrière moi. Les bourrasques menaçaient d'entraîner mes pieds, attirés par le vide mortel. Mêlées à mes respirations indomptables, elles s'intensifiaient encore et faisaient battre mes cheveux châtain dans le ciel orageux. Elles se nourrissaient des âmes défuntes qui arpentaient ce lieu. Je sentais ces dernières m'appeler, mon corps se penchait sans mon consentement, tremblotant.

Ça y est... l'heure avait sonné. Théo, j'allais enfin te rejoindre. Ton cadavre ne serait plus qu'un lointain souvenir.

Au loin, la mer me narguait, prédatrice d'Arkan, qu'elle coinçait dans son étreinte infinie. Je ne serais plus pris au piège. Mon cœur lourd se convulsait sous la pression. Une rage extrême m'ordonnait de tout lâcher, là, maintenant, tout de suite. Comme dans un état de transe qui me faisait perdre tout enjeu, ma raison s'était effilée avec la furtivité d'un renard... et j'aimais ça. Seule la mort, si désirable et mystérieuse malgré son omniprésence, occupait mon esprit.

Dis, gentille faucheuse, que me cachais-tu ? J'avais besoin de réponses. Je le savais, tu cachais mon véritable monde, celui auquel nous étions tous voués, alors ne crois-tu pas qu'en me balançant ici, je ne faisais que précipiter une finalité établie depuis ma naissance ?

Comment ça, les personnes que je côtoyais ? Attends... Non. Léanne... Maman me regretterait peut-être, mais ce ne serait pas nouveau.

Oh, c'est vrai. Avec toi, c'était toujours une affaire de regrets, hein ? Lorsque quelqu'un te rejoignait, nous regrettions chacun notre tour ne pas lui avoir rappelé notre amour ou de ne pas être parti à sa place.

Le regret était un vieux copain. Je regrettais mes actions — celles que j'avais faites, mais celles que je n'avais jamais mises en œuvre également. Le regret, je l'avais apprivoisé.

Mais ce soir, je ne regrettais pas.

Dans un sursaut d'émotions instables, mes membres se contractèrent. Je tremblais, pleurais, riais, mais personne ne s'occupait de moi. Seul le béton m'ouvrait les bras.

Dis, la faucheuse, si ma chute ne suffisait pas, penses-tu qu'une voiture me terminerait, pour que tu passes la quatrième vitesse me récupérer ? Parce que si je ne mourrais pas sur le coup, je risquais de ne pas apprécier.

Faucheuse, dis-moi que je n'allais pas souffrir ! Et si...

Et si tout cela n'était qu'une grossière erreur ?

Je tentai de rouvrir les yeux, d'éteindre ces sanglots futiles, de reprendre ma respiration, mais mon talon glissa.

Dans un soulèvement, je lâchai prise.

TRANSES 1: Deux Anges Revenus Trop TôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant