Chapitre 32.1 ✔️

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M A L E K


          Mes jambes, comme recouvertes d'une opaque couche d'acier, se transformèrent en cannes difficiles à contrôler. Mon corps vibra jusqu'à s'écraser sur la chaise. Eneko, appréhensif, me fixait avec un regard de chien battu pour le moins déroutant. Je savais qu'aborder ce sujet empirerait sa situation. Il ne savait pas nager et je m'apprêtais à le faire couler.

Pourtant, je ne voyais pas quels autres choix s'offraient à moi. Je ne pouvais plus cacher cela. Je ne supporterais pas le laisser dans le mensonge et l'incompréhension.

Mais ce regard... Il fit naître en moi une angoisse qui me prit aux tripes, qui s'amusait à les broyer, les plier, les déplier, me laissant à la merci d'émotions plus sombres encore. La symphonie désastreuse qui se jouait dans mon corps réagissait aux yeux d'Eneko qui ne me lâchaient pas et qui faisaient office de percussions cacophoniques à m'en glacer l'âme. Je pouvais y lire sa tristesse, son incertitude, son envie de me faire confiance, mais que quelque chose semblait l'en empêcher.

— Alors ? murmura-t-il.

Chaque fois que je posais mes yeux dessus, son visage se mélangeait à celui de Théo. Un liquide rougeâtre visqueux s'échappait de ses épaules et laissait une vilaine tâche sur son pull. Chaque fois, elle s'évaporait, avant de revenir, une énième fois.

Je me blâmais... à juste cause, non ? Il avait vécu un véritable enfer et la seule autre personne sur qui je pouvais rejeter la faute...

— En avril! Quand Théo est mort! J'étais blonde! C'est moi qui te l'ai fait tuer!

Je jetai un coup d'œil maladroit vers Sonja, qui regardait le sol d'yeux vitreux obscurs.

Ses confessions de l'autre jour au café m'avaient laissé sans voix. La difficulté de rassembler tous les morceaux du puzzle dans le bon ordre m'empêchait toutefois de détourner mon attention. L'alcool...

— Il devait mourir. Il...

— Il quoi?

« Tu as bien fait. » C'est ce que j'avais dit à Eneko. Je voulais qu'il le croie, mais pour cela... je devais le croire moi-même — que ce que j'avais fait, ou du moins, ce qu'on m'avait fait faire, était pour une bonne cause.

— C'est l'ex d'Eneko que tu as tué, mais c'était le but depuis le début. Théo était proche de mon cousin, Marwan. Il était également proche de ta sœur. Ils se sont tous rencontrés quand ils étaient plus jeunes, mais crois-moi, il était dangereux!

— Dangereux? En quoi, dangereux! Il était innocent!

— C'était un démon.

Ses traits du visage se plissaient, malheureux, sous la pression d'une culpabilité certaine. En me lançant au meurtre de Théo, elle n'avait pas pensé aux conséquences que cela aurait pu avoir sur ses proches — ni sur moi, d'ailleurs. J'ignorais si l'accuser serait légitime, elle qui n'avait fait qu'accomplir une mission dans le simple but de nous protéger.

Je soupirai.

Si je n'étais pas devenu un ange, j'aurais vécu avec le démon sur le cœur toute ma vie, à relater ce jour où j'avais tué un jeune innocent sous l'emprise de l'alcool... mais non. Je ne pouvais pas en vouloir à Sonja. Être rancunier n'était pas dans ma nature.

Il devait mourir.

Il devait.

— C'est moi qui l'ai tué.

TRANSES 1: Deux Anges Revenus Trop TôtWhere stories live. Discover now