Chapitre 33 ✔️

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E N E K O

         — Eneko ?

La voix désabusée et rauque de ma mère m'obligea à reposer les pieds sur terre. Je n'y échapperais pas, cette fois. À mon plus grand désarroi...

J'étais bien retourné dans cet appartement avant tout ce délire avec Aversion, mais elle ne m'avait pas adressé un mot. Accepter que je revienne chez elle relevait déjà d'un exploit, mais je ne me plaignais pas — la discussion n'était pas mon fort, en particulier avec elle.

Toutefois, lorsque je franchis le seuil de la porte, Léanne m'attendait de pied ferme. Mon regard heurta par malheur le sien et des éclairs de souvenirs m'aveuglèrent tandis que je me remémorais toutes nos disputes. Je me voyais encore renverser la commode qu'elle avait remise en place, dans le couloir de l'entrée. Je l'entendais encore pestiférer, proliférer des insultes et des injures en ma direction. Je m'attristais encore face à ses yeux bleus remplis de honte et de rage dès qu'elle abordait le sujet de mon homosexualité.

Heureusement, cela ne m'atteignait plus et j'avais la sensation qu'une chose avait changée.

— Bon dieu, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Non seulement je perdis l'équilibre avec les béquilles qu'on m'avait filées, mais j'avais oublié que mon corps était recouvert de bleus, égratignures et bandages. Ma jambe me faisait trop mal pour que je puisse marcher seulement avec ma prothèse... Je soupirai:

— J'ai pas envie d'en parler.

— Bordel Eneko, tu réponds pas à nos appels, tu t'enfuis encore, même la police te retrouve pas ! haussa-t-elle la voix.

— La police ?

La colère dans sa voix me noua la gorge. Avait-elle réellement appelé la police ? Bon sang, c'est moi qui aurais dû ameuter les flics, il y a bien plus longtemps que ça ! Je frappai le sol avec mes béquilles, prêt à me réfugier dans ma chambre, mais ma mère m'en retint.

Les traits de son visage s'étaient affaissés et son iris s'assombrit lorsque je la fixai. Le contour de ses yeux n'était pas aussi recouvert de maquillage aléatoire qu'à l'accoutumée. Ses pattes-d'oie respiraient enfin. Lâchant doucement mon épaule, elle se pinça la lèvre inférieure et je reconnus la mine bienveillante qu'avait l'habitude d'arborer ma grand-mère. Quelle mouche l'avait piquée ?

— J'étais inquiète, réellement.

Encore perturbé par ce contact corporel impromptu, je la fuyais du regard, dépaysé par ce genre de paroles.

— J'me suis pas comportée de la meilleure des façons avec toi...

— Tu m'étonnes.

Léanne soupira. Elle comprit que je ne souhaitais qu'un peu de temps seul dans ma chambre et recula afin de me libérer. Je savais toutefois que je ne pourrais pas éviter la longue discussion qui se présageait — ni la visite chez l'orthoprothésiste, pour le plus grand bonheur de ma jambe droite.

Au bout du compte, passer près de vingt-quatre heures avec ma mère se serait prouvé plus épuisant que prévu. Heureusement, je pouvais enfin remarcher avec mes deux pieds.

Ce jour-là, l'atmosphère de la ville s'était comme... assombrie. Les adultes, comme ma mère et le docteur l'avaient peut-être ressentie également — l'air était lourd et obscur, mais le manque de soleil n'y avait aucun rôle à jouer. C'était autre chose.

Les démons.

Mon âme les avait sentis. Ma flamme s'était brusquement agitée. Je me remémorai les paroles de la grande rousse, Celes. Elle nous avait avertis : en tant qu'anges, rester exposés à l'air libre où des démons immatériels erraient était dangereux. Sonja était persuadée que Prairie les avait envoyés d'une façon ou d'une autre, et en parlant du loup...

TRANSES 1: Deux Anges Revenus Trop TôtWhere stories live. Discover now