Chapitre 3.2 ✔️

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E N E K O


          — Je vois. Écoute, afin d'être sûre d'avoir les bons mots, j'ai besoin de savoir ce que tu avais en tête, ce jour-là. Je sais que cela peut paraître brusque et que tu n'as pas forcément...

Je pris une longue inspiration.

— Ça va. Je vais bien. J'ai perdu ma jambe, pas ma langue.

Continue de jouer au grand, Eneko. Tu sais plus que quiconque à quel point relater ce souvenir douloureux allait te ramollir le cerveau. Tout cela était encore récent.

Les lèvres de Prairie s'étirèrent.

— Tu es courageux, Eneko. J'admire cela. En particulier avec... ta mère. D'après elle, le jour de l'incident, tu ne te contrôlais pas...

— C'était de ma propre volonté. Rien à voir avec la drogue ou quoi que ce soit. Je prends rien de tout ça.

Je connaissais la façon de penser de ma mère. Nous ne pouvions pas entretenir de véritables discussions, d'où ma présence ici. J'étais le seul qui lui restait, mais cela lui passait outre.

— Je sais, Eneko. Tu as bien raison de me corriger. Je vois bien que vous n'êtes pas proches. Je ne fais que répéter ce qu'elle m'a dit, elle n'a pas voulu rentrer dans les détails, je pense qu'elle a du mal à réaliser l'ampleur de ce qui est arrivé.

— Elle refuse de voir les choses en face. C'est elle qui m'avait forcé à prendre une thérapeute, mais au final, elle avait raison.

Pour une fois...

Mon index dessinait des cercles sur mes joues rougies tandis que Prairie posa ses coudes sur ses genoux. L'air grave, mais détendu, elle s'hydrata avant de reprendre :

— Peux-tu m'expliquer ce qui t'a conduit à... ce choix ?

Je déglutis et opinai, le regard fixé au bureau. Mon pouls s'accélérait dans ma poitrine et mes dents arrachaient les gerçures de mes lèvres. Un mois s'était écoulé, et pourtant...

Mon torse se bomba. J'inspirai une infinité de souvenirs à la fois désagréables et fascinants. Au bout de quelques secondes, mes poumons s'épuisèrent et je m'écroulai contre le siège, les paupières closes.

Je lui racontai tout — de mes pulsions dangereuses, mes excès de rage, le cadavre de Théo dans mes bras.

J'avais vécu chaque soir depuis sa mort comme une torture. Je ne croyais pas en Dieu, mais j'avais prié pour qu'il m'emporte le plus vite possible tellement c'en avait été insoutenable.

Je mentionnai aussi mes échecs scolaires, la tornade vicieuse qui m'avait entraîné... jusqu'au choc brutal contre le béton de la route.

Et la douleur... ma jambe écrasée par le poids de mon corps, le craquement de mon bras. La voiture qui me passe dessus, les grincements de son frein, le fracas qui m'encerclait...

Les muscles et ligaments déchirés, l'os déplacé, l'infection. Cet aspect de gruyère décapité.

Ma culpabilité.

Ma main redécoupait inconsciemment ma jambe amputée. Lorsque mon récit prit fin, je me rendis compte que des larmes coulaient le long de ma peau blafarde. Honteux, je les séchai en vitesse. Cela faisait longtemps...

Je soufflai un bon coup.

— Et puis, à l'hôpital, est venu le moment où...

Je palpai le cuir du siège.

TRANSES 1: Deux Anges Revenus Trop TôtKde žijí příběhy. Začni objevovat