Chapitre 16.1 ✔️

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MALEK


           Le jeudi qui suivit, Sonja organisa une réunion chez elle pour s'attaquer à la pratique de nos pouvoirs. Le lendemain de cette nuit torride, j'avais décalé sans même déjeuner... J'espérais qu'elle n'y fasse pas allusion — rien ne s'était passé entre nous. Rien.

À mon plus grand soulagement, elle m'accueillit comme si je n'étais jamais venu, le sourire jusqu'aux oreilles. Cette fois, elle traversa le salon et m'emmena dans son jardin.

Les brins d'herbe qui le recouvraient chatouillaient mes chevilles. On y avait installé une balançoire qu'Eneko utilisait déjà, cultivant son âme de gamin malgré ses dix-huit bougies. Quand était-il arrivé ? J'avais planifié ma journée à la minute près pour ne pas me pointer en retard !

Ils m'expliquèrent que Sonja l'avait hébergé la nuit dernière, car le pauvre n'avait eu nulle part où aller. Il en avait déjà passé une dehors. Bordel... donc pendant que je rassasiais ma libido, lui se faisait jarter de sa maison ?

Ma culpabilité s'accentua d'autant plus. C'était le seul gars à créer en moi des sensations réelles — peur, curiosité, sécurité... Elles dépassaient la complicité et les rires que j'échangeais avec mes fréquentations habituelles.

Il s'agissait là du cœur de mes frayeurs. Si lui avait accepté et épousé cette idée en tant que possibilité libératrice, ce n'était pas mon cas. Et puis, la relation bizarre que j'entretenais avec Sonja n'améliorait pas la situation...

Toujours aussi bien habillée, cette dernière longea une piscine gonflable. Son sarouel nuageux et fripé, attaché d'une ceinture en cuir épaisse, flottait sous la brise frisquette. Couplé à une veste en jean, son top blanc dévoilait une partie de la tornade de feu tatouée sous ses clavicules.

Sa voix enjôleuse se projeta :

— Mes parents rentrent ce soir. D'ici là, on a largement le temps de faire des dématérialisations.

— Ça peut fonctionner, ici ? m'inquiétai-je.

— Ça fonctionne partout, et ici, on est à l'abri des regards.

Eneko s'éclatait, m'arrachant un sourire. Il flottait dans une veste beige qui ondulait au fil de ses balancements. À peu de choses près, il s'envolait avec la grâce d'une mésange. Sonja nous interpella.

— Allez ! S'il pleut, mieux vaut faire ça vite.

Le vent amenait des nuages de notre côté d'Ayan. L'étudiante luttait à replacer ses cheveux ébène — moi, j'en profitais, simplement.

— OK, mes poulets. Faudra se concentrer. Vous devez essayer de faire apparaître votre flamme d'abord. Je peux vous aider.

— Attends !

Le doigt levé, l'estropié accourut vers nous. Son visage se crispa, les yeux clos et verrouillés.

— Ça va, mec ? m'enquis-je.

J'avaisl'impression qu'il souffrait d'une soudaine maladie. Des convulsions renversèrent son corps. Je bondis pour m'assurer de sa santé, mais Sonja, dont le faciès délicat trahissait sa surprise, m'empoigna le bras.

Eneko avala une goulée d'air et rouvrit les yeux.

— Ça a pas marché ?

Je grimaçai.

— De quoi ?

Sa peau blanchit. Une soie immatérielle recouvrit son épiderme, alors plus cristallin, moelleux. Bordel, encore deux secondes et il s'évanouissait ! Non... ce n'était pas sa peau qui se délavait, mais une brume qui s'en dégageait. Comme Sonja...

Ce brouillard luisait et permit l'apparition de la flamme d'Eneko. Le poing de notre guide se raffermit.

— Où est-ce que t'as appris ça ?

— Anaël m'avait expliqué, je me suis entraîné quand j'étais à la rue et... j'ai réussi.

Elle soupira, désespérée. On ne devrait pas aller chacun de notre côté ainsi ! Certes, elle m'avait appris certaines choses qu'elle ne lui avait pas nécessairement dites, mais j'ignorais qu'il apprenait carrément des techniques avec son petit ami prétentieux !

— Tu dois ralentir ton rythme cardiaque...

Mes iris rejoignirent les siens. Il me parlait. Je me plongeai dans leur mer métallique sans pouvoir m'en retirer.

— Tu arrêtes de respirer le plus longtemps possible. Ça va faire brûler ta flamme plus intensément, jusqu'à te faire un peu mal. Ensuite, tu demandes à... « Ilça » de soulager ta douleur ? J'ai pas tout compris, mais... c'est un peu comme une prière, en fait. Pareil pour libérer la flamme.

Sonja m'éclaircit.

— Le pouvoir d'Ilça active des molécules qui se transforment en une espèce de brume quand elles s'évaporent... mais du coup, pas besoin de le refaire.

Le brouillard s'était en effet propagé et avait activé la luminescence de nos trois flammes.

— La dématérialisation, alors. Elles demandent un but concret. On peut pas la faire si on n'a pas d'objectif précis en tête, du coup, ça peut être compliqué à réaliser. Ça veut pas dire qu'il faut abandonner au bout de deux minutes.

— Et, vouloir s'dématérialiser, ça suffit pas comme objectif ? supposai-je.

— J'te laisse deviner la réponse...

Eneko souffla du nez, moqueur. Tandis que la brume rosée se dissipait, malgré sa résistance aux rafales, on se releva.

— Concentrez-vous. Ça t'est déjà arrivé, Malek, non ?

En effet... Lorsque la Mara m'avait attaqué, je m'étais élevé dans les airs, en dehors de mon corps. J'avais cru à une décorporation comme pendant mon E.M.I.. Je n'en étais pas sûr, mais Sonja semblait confiante.

— Tu voulais absolument te défendre et te libérer de son emprise, sauf qu'elle te bloquait. C'est exactement ce qu'il faut faire ! Avec un objectif pur et fort, l'esprit doit s'élever à l'intérieur jusqu'à... sortir. En soi, ça devrait être plus simple pendant une paralysie du sommeil vu que t'as aucun contrôle sur ton corps, mais nous, les anges, on peut discerner esprit et corps plus facilement, donc c'est pas si difficile.

— Mais comment on fait pour... avoir un objectif, déjà ? s'inquiéta Eneko. Y'a pas de démons qui veulent nous tuer, ici.

J'alternais entre leur regard lorsque celui de la guide s'assombrit. Son visage se vêtit d'une expression revancharde, ses traits se plissèrent dans une colère naissante : pourquoi ? Sa voix détonna.

— Assez !

Sa flamme s'était inversée. Elle ne brûlait plus du même sens ! Qu'est-ce que... La jeune femme s'avança à pas déterminés, sa peau s'éclaira et mon champ de vision... se fissura.

Non... Mes yeux ne déconnaient pas. Le brouillard luminescent se craquelait littéralement. Des centaines de fragments se révélèrent au milieu de taches sombres. Ces dernières, intimidées, cessèrent leurs virevoltes aériennes. Mon cœur s'alourdit sous les ordres fermes de la fille.

— Ce sont des démons ! Détruisez-les ! Dépêchez-vous !

TRANSES 1: Deux Anges Revenus Trop TôtWhere stories live. Discover now