Chapitre 2

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    Je me gratte la tête, faisant partir des mèches de mes deux tresses de chaque côté de ma tête. Ce début d'histoire me fait déjà tressaillir. Je me hâte de continuer de traduire les autres paragraphes. Quelques minutes après, le dernier mot traduit et vérifié, je commence à lire les écrits.

La pleine Lune m'appelait de toute sa lumière. Je ressentais des picotements en dessous de ma peau. Quelque chose semblait vouloir sortir de moi. J'en avais peur. J'avais vu ce dont ils étaient capables et je ne voulais pas devenir comme eux, comme elle. Je l'avais pourtant apprécié à nos premiers regards. J'étais encore prince. Mais à ce moment précis, j'étais mort, habité d'une bête.

Alors que je retenais mon souffle, une ombre passait à ma gauche. Alerté, je tournais sur moi, regardant de ma jeune vision nocturne les alentours. L'animal en moi semblait affrayé, c'était vraiment bizarre. Je ressentais cette chose comme un esprit à lui tout seul mais toutefois dans le même corps. Mes sens avaient été aiguisés, j'entendais la femme sous sa forme animale tourner autour de moi. Je devais partir, m'enfuir de ma terre native. Je n'étais plus à ma place ici, un danger pour mes gens et chassé par elle.

Des murmures se répétaient de plus en plus proches de moi, bougeant, se répercutant sur les troncs et sur mon corps tremblant. Les termes « tu es... morphe... différent... » me liquéfiaient. Ils nous faisaient peur. Nous ?

Je reculais de quelques pas et rencontrais l'écorce de l'arbre. En moins d'une seconde, une masse mi félin mi femme me coinçait contre le bois, me regardant avec de grands yeux rouges. Le chef du groupe de bêtes, celle qui m'a mordu, m'agrippait d'une main griffue et poilue le cou. Sa force était impressionnante. L'animal coincé dans mon enveloppe humaine grognait, mais rien ne sortait. Elle me fixait. Ses dents devenaient de plus en plus pointues, prêtes à m'ôter la vie.

Alors que j'attendais mon heure les yeux fermés, elle me lâchait brutalement. Je me cognais sur une pierre ; ma vue était devenue trouble mais pas assez pour voir l'arrière d'un loup monstrueux gris clair, oreilles plaquées et prêt à bondir. Je reculais comme-ci je pouvais encore et apercevais la femme se déformer et se changer en une lionne beige instantanément. Elle était encore plus imposante que celui qui me « protégeait ».

Une voix m'ordonnant de courir en sens inverse criait à l'intérieur de mon crâne. Je suivais donc cet ordre et courais du mieux que je pouvais. Mes pas étaient hésitants sur la mousse et les racines. Au bout d'un moment, on criait mon nom ; je l'entendais même au-dessus des grognements des deux bêtes. Lorsqu'un groupe de personnes sous forme humaine m'apparaissait, je me laissais tomber, à bout de forces. La dernière vision que j'avais eue était mon sang s'écoulant du haut de ma tête.

    Les textes s'arrêtent là. Je me laisse aller au fond de mon siège, soufflant la totalité d'air de mes poumons. Je comprends pourquoi ces manuscrits sont restés au fond des archives. Je travaille depuis quelques années à la bibliothèque mais les langues avec laquelle ces textes ont été écrits ne sont pas connues. J'ai dû faire des recherches et plusieurs hypothèses sur leur alphabet afin de pouvoir tout traduire. Des années que je travaille sur ces messages, ces lettres. C'est dans le plus total secret que j'évolue. Le problème est qu'à chaque texte que je retrouve dans le merdier des archives, ils sont tous écrits dans un dialecte diffèrent. J'en ai trouvé que six et je ne sais pas encore totalement le passé de l'homme qui copie avec acharnement son histoire, ni la suite.

    Je sais juste qu'il s'appelait Pol, qu'il était un prince, qu'il s'est fait "mordre" par une femme et que suite à cela il s'est changé en une bête. Quand elle a vu qu'il était différent d'elle, la lionne, et de ses autres animaux, elle l'a chassé. Il ne comprenait pas à grand-chose, il savait juste qu'il devait rester en vie. Et apparemment il venait d'être sauvé par une autre bête, un loup cette fois. Je trépigne d'impatience dans l'attente de la suite de son histoire, un peu comme devant un livre prenant ou un film à suspense. Ça paraît un peu gros mais si cette histoire est capable de m'ouvrir à un nouveau monde différent de celui des hommes, je suis toute ouïe. De plus, la forme de ma "tâche de naissance" et la réaction de ma mère lorsque je lui demande les origines de cette marque me poussent à chercher plus loin. Ce n'est pas un hasard si elle ressemble à un loup. Mais d'un autre côté, ça paraît trop surréaliste.

"Amia ! Il est l'heure !" crie ma mère du bas de l'escalier

    Je soupire et commence à m'habiller pour sortir. Je replie les documents dans leur protection et les glisse dans mon sac. Après avoir jeté mes gants en tissus sur le bureau, je passe un pull et mets mes bottes. J'empoigne ma besace et descends prudemment les marches. Ma mère m'attend, mon manteau au bout de ses bras tendus. Je l'enfile en grognant dans ma barbe. Une enfant de cinq ans est traitée comme je le suis, sauf que j'en ai vingt.  

    Mon sac à bandoulière sur l'épaule, je franchis le pas de la porte avec détermination. Je suis tellement pressée de prendre la suite des manuscrits et de les déchiffrer.

    J'emprunte le long couloir aux murs gris et à l'épaisse moquette bordeaux qui doit certainement contenir des bestioles. Je croise Mme Bardi, notre vieille voisine, en train d'arroser les quelques plantes sèches du palier où se situent les deux ascenseurs de cette grande tour. Mr Grant est toujours assis à terre, dans un coin, une bouteille de whisky dans la main. On ne sait jamais vraiment s'il est mort ou s'il dort. Je ne m'inquiète pas pour lui ; l'étiquette de sa bouteille n'est jamais la même.

    Après avoir appelé l'un des ascenseurs, je descends au rez-de-chaussée. La machine s'arrête au vingt-cinquième et s'ouvre sur un beau brun. Il s'engouffre dans la cabine sans un regard et s'adosse contre une des parois. J'ose un coup d'œil dans sa direction. Lorsque je croise son regard, ma tête se baisse automatiquement vers mes mains. Je sens la chaleur de mes joues s'accentuer considérablement et je devine avoir la couleur de la moquette des couloirs. Je voudrai être une petite souris pour pouvoir me cacher dans un petit trou.

    Alors que j'étais en pleine contemplation du sol à mes pieds, l'homme à un mètre de moi tousse et se mouche. Je me crispe des cheveux aux orteils et me décale du mieux que je peux jusqu'à être collée au lambris. Même si ces microbes viennent de lui, je ne suis pas vraiment enchantée d'en avoir. Les portes s'ouvrent et j'attends qu'il passe, pas parce que je le veux mais parce que je ne peux pas faire autrement ; je suis trop tendue. En sortant, il fait tomber sans s'en rendre compte son téléphone portable. Je le regarde comme une chose inconnue, recherchant quoi faire. Ces engins sont truffés de bactéries. Le prendre serait signer mon arrêt de mort.

"Monsieur ? Euh... Bonjour. Votre téléphone est tombé !" hurlé-je alors qu'il sortait par la grande porte en verre du hall

    Je le vois se retourner, un grand point d'interrogation collé sur son front. Il me dévisage en tâtant ses poches. Il est quand même très beau comme mec. Son regard se pose ensuite au sol où son mobile réside en ce moment même. Ses yeux remontent vite sur moi les sourcils froncés. Je crois qu'il pense que je vais le donner. Il peut aller se gratter ; je ne touche pas ce truc moi en plus pour quelqu'un de malade. Je le sens me juger en approchant. Il se penche pour récupérer son téléphone et je prends ce temps pour me défiler de la cage de cet ascenseur. Je salue de loin les deux hôtesses à leur bureau que je considère comme mes amies car au moins elles, elles me sourient. Je soupire.

"Mademoiselle ? Attendez !" 

Différente : Déréliction [Fin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant