Différente : Déréliction [Fin]

Chapitre 33

    Je descends rapidement les marches. Mon regard s'est attardé tristement sur la porte toujours close de Niko. Le sentiment qu'il m'évite commence à prendre de l'ampleur. Au déjeuner, je n'ai pas vu son beau regard vert et pétillant, ni même une parcelle de sa peau veloutée. Le poulet rôti et bien juteux m'est passé sous le nez, à l'ouest comme je l'étais. Même si j'en étais certaine avant, cette distance mise en place a avoué l'état de mes sentiments pour lui. J'en suis accro. Je sais que cette force est en partie causée par le lien de la marque, et qu'elle est donc fondée psychiquement, mais je ne peux pas me faire oublier qu'il doit forcément ressentir cette même force. Mes sens primaux s'émoustillent ; j'avais essayé de les cacher. Malheureusement, la forme informe commence à colérer.

    J'ai dormi que très peu, étant fixée sur les mensonges mais surtout sur la révélation inattendue. Cette dernière remet bien moins en faute tous les non-dits. D'un côté, je suis soulagée de savoir Pol en vie, même s'il paraît être quelqu'un d'autre. J'aime ces deux personnes, cette seule personne, en fin de compte. Rien que de savoir qu'il soit si proche de moi mais aussi inaccessible me fout les boules. J'ai fini par adopter son vocabulaire, en passant...

    En me levant, l'idée de discuter avec Blanche du secret avoué m'a semblé bonne. En y réfléchissant de plus près, je ne savais pas si elle allait me faire paître. Malgré tout, je suis en route et prête à tous les mots qu'elle pourra utiliser. Je besoin de savoir, de comprendre, et, à ce que j'ai pu constater, elle semble bien le connaître.

    Le cœur battant comme un tambour dans une symphonie d'organes, je frappe régulièrement à sa porte d'un blanc luisant. Etant certaine qu'elle m'ait entendu depuis le haut des marches, je ne prends pas le temps d'attendre qu'elle me réponde. Si elle voulait que je parte, je l'aurais su bien avant.

    Habituellement, je la retrouve assise dans le noir, ses écrans me broyant les yeux à coups d'aiguilles de lumière. Les images ne reflètent rien d'inhabituel ou d'important ; j'entre et ferme la porte. Mes doigts jouant du piano dans l'air, j'avance à petits pas comme un lapin sous les yeux de son prédateur. De dos, elle a le chic pour me faire penser à ce genre de chose.

"Tu vas bien ? J'ai appris que la femme que j'ai eu au portail était une de tes amis. Tu t'ennuies déjà ? me demande-t-elle tout en zoomant sur une tâche à l'écran

- Non, je ne m'ennuierai jamais. Surtout si j'ai des révélations tous les jours...

- Quoi ? Un morphe t'a fait une déclaration d'amour ? Bien joué pour toi.

- Ce n'est pas de ce genre dont je veux parler. La moins connue, le secret le mieux caché car dangereux. Celui qui aurait pu semer la panique dans les rangs. Un morphe aux gênes métamorphes au centre d'une meute. Peut-être un Oméga ? Où est donc Pol ? Il n'est pas mort ni disparu n'est-ce pas. Blanche, je sais. Et j'ai besoin d'explications. Je t'en supplie."

    Elle se retourne, le visage fermé, laissant la souris et son clavier numérique. Elle ne m'a pas encore tué, c'est une bonne nouvelle. Je lui arrive aux épaules, une fois levée. En face de moi, malgré sa grande taille, j'ai l'impression qu'elle est moins imposante qu'à l'habitude. Son aura dévoile la fragilité que j'ai pu apercevoir hier lors de sa dispute avec Niko.

"Je... Je ne sais pas de quoi tu parles. nie-t-elle en levant le menton

- Blanche, parle-moi. S'il-te plaît !"

    Serrant les lèvres, elle regarde au sol avant de soupirer de consternation. Si je pensais que ça allait être aussi simple, j'y serais venu les mains dans les poches.

    Elle s'assoit à terre, contre le mur le plus proche, et ne m'empêche pas de faire la même chose. L'élastique qui retenait ses tresses noires se retrouve à terre, laissant la pleine et entière liberté à ses cheveux. Je ne l'ai jamais vu agir ainsi. Serait-ce un geste nerveux comme j'en ai aussi ? Je pose ma main sur la sienne et l'oblige à se détendre.