Chapitre 3

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    Mes muscles se crispent d'eux-mêmes. Les pas précipités que j'entends s'arrêtent dans mon dos. Je me retourne doucement, la tête en première. Le bel homme de l'ascenseur me regarde la main tendue vers moi. Je regarde sa main et son léger tremblement. De la fièvre, il ne manquait plus que cela.

"Vous allez bien ?" me demande-t-il

    Je lui demanderai bien la même chose à la vue de son état mais je me retiens. Mon cœur fait un étrange de bruit dans mon thorax. Mon Dieu, cet homme-là me fait un drôle d'effet. Comment ne pas prendre la main de ce si bel albâtre ? La voie de la raison me fait de grands signes alors que celle de l'aventure me sourit à de grandes dents. Je suis tiraillée entre ces deux choix. Prendre sa main me dit vraiment quelque chose. Je le regarde longuement, sans rien dire ; il va vraiment me prendre pour une folle. Il la baisse. Oh non, j'ai raté mon coup. Je regarde alors son visage et tombe sur un demi-dieu. Ou un dieu tout court.

"Je vais très b..."

    Il me tousse à la gueule. J'arrête ma phrase en plein milieu en mode poisson ; la bouche ouverte et les paupières battantes. Je reprends mes esprits en quelques secondes. J'ai envie de le gifler. Toutes traces du dieu en face de moi ont disparu. Seules celles d'un dégueulasse sont visibles. Je ferme la bouche à la simple pensé des petits microbes qui résident sur ma face. Mon Dieu, il faut que je les enlève.

    Je tourne les talons, toujours aussi choquée. Je sors de la tour au pas de course et rencontre le froid du mois de janvier. Les gens sont tous recouverts d'une épaisse couche de vêtements et serpente sur les pavés, le nez gelé. Je plonge mes mains dans mes poches chaudes et le bas de mon visage dans la grosse écharpe grise qui cache mon cou. Je ressens sous mes doigts un genre de petite enveloppe. Voilà mon sauveteur. Je sors une lingette désinfectante avec laquelle je frotte mon visage. Ce n'est pas gagné mais c'est déjà ça.

    Je passe devant plusieurs magasins aux vitrines alléchantes, mais je n'ai pas le temps ; ma santé m'importe plus. Je marche vite en direction de la prochaine porte à ma gauche. Au loin, je vois l'enseigne de la bibliothèque d'un des quartiers de Paris, celle dans laquelle je travaille pour un salaire de misère. Mais au moins à celle-là, je peux récupérer sans être chopée des vieux documents dont aucunes personnes ne s'en souviennent. Je contourne une jeune fille ressemblant à une perche avant d'entrer dans la chaleur du lieu. Je me suis toujours vu comme un grain de riz parmi les longs spaghettis.

"Amia, tu es en retard." gueule Michelle, en termes de salutations, ma patronne et accessoirement vendeuse

    Je regarde mon téléphone et me rends compte que je ne suis nullement en retard. Peut-être que les femmes qui ont confiance en elles auront dit quelque chose mais je ne suis pas comme ça. Je suis du genre à être une petite brebis devant les grands méchants loups et de me faire bouffer sans rien dire. Je fais un triste sourire à ma chef avant de m'engouffrer dans mes deux mètres carrés qui me sert de bureau. Oui je me suis bien fait avoir à l'embauche.

    Je dépose mes affaires dans un coin, derrière la porte, et ouvre la fenêtre pour aérer. Les gaz des automobiles et toutes les autres odeurs de la ville entrent dans la pièce. Tout cela aurait été mieux si quelqu'un avait pu le faire le matin quand il fait meilleur. Mais comme je suis la petite dernière dans cette foutue affaire emplie de connards, il faut que je me débrouille seule. Je regarde la sombre moquette en me demandant si c'est sa couleur d'origine ou juste de la crasse qui s'est incrustée. Je tourne le chef vers la tâche verdâtre qui recouvre une grande partie du mur devant moi. Sur l'autre mur, enfin ce qu'il en reste, des cloques d'humidité ont élu domicile. Ça fait quelques temps que je me dis de prendre une combinaison d'anticontamination pour aller bosser.

Différente : Déréliction [Fin]Where stories live. Discover now