Différente : Déréliction [Fin]

Chapitre 10

    La rue dans laquelle je n'ai jamais cessé de passer chaque jour depuis quelques petites années me semble vide. Mon appartement, en haut de cette tour qui me regarde de toute sa hauteur même si elle se trouve à plusieurs mètres de moi, me semble éclairé. Des silhouettes noires passent aux fenêtres et s'arrêtent par moment devant. Comme ma vue est devenue fine telle celle d'un aigle, je peux facilement voir, même en contre-jour, le visage halé et rond de Joséphine.

    Nous nous rencontrons des yeux et elle me sourit joyeusement. Je lui fais un vite geste de la main avant d'être coupée par la prise de la main de Niko sur mon bras, me bousculant vers l'avant, m'efforçant à entrer dans la petite bibliothèque. Je lui assène un coup de coude dans le ventre à lequel il répond par un grognement étouffé.

    Je retrouve l'atmosphère de mon lieu de travail et futur ancien lieu de travail. Je n'arrive pas à me voir dans ma nouvelle vie. Les livres sont toujours aussi bien rangés, à part le policier à ma droite ; celui que j'ai laissé après ne pas avoir eu l'envie de passer à côté de l'homme à la peau de pêche, appelé plus communément Niko.

     Je peine à apercevoir Michelle derrière la grande pile de livres, mais je sais qu'elle est là ; je la sens. En effet, contre toutes attentes, son odeur est la même que Stuart. Cette senteur pimentée ou peut-être bien poivrée. Je sais ce qu'elle représente. Ma patronne et future ancienne patronne est un lycan de l'autre meute, celle du territoire sur lequel nous sommes. Je n'ai jamais eu l'idée qu'une femme à l'air fragile puisse être immortelle.

    Je prends donc une bonne respiration afin de ne pas m'étouffer. Niko me devance et s'installe sur un petit tabouret devant la caisse, le seul ; égoïsme bonjour ! Je croise les bras et m'avance à mon tour. Je salue avec difficulté la directrice et lance un regard plein de sous-entendus au mec assis à côté de moi dont celui-ci me répond de ses éternels sourires innocents. Sale crétin !

"Bonjour ma chère, tu as mon café ? Tu es un peu en retard.

- Euh... Non, mais je peux en faire un.

- Non. J'avais prévu de venir seul mais je n'ai pas eu le temps. Michelle, nous sommes là pour... commence-t-il avant que ma future ex patronne le coupe

- Ce jour est-il venu ? -elle se lève et je m'empresse de venir à ses côtés car je la vois tanguer- Je sens bien que tu es devenue une des nôtres, mais je n'ai trop envie de rechercher un nouvel employé en te laissant partir. Mais, on m'avait dit qu'un jour tu partiras quand tu seras dans ta meute parce que tu étais marquée...

- Oui, les papiers sont signés et il ne restait plus qu'à vous voir. intervient ce crétin de loup

- D'accord. J'ai récupéré les documents que tu voulais, Niko. réplique Michelle en se dirigeant vers l'arrière salle

- Oui, ils seront plus pour Amia qu'à moi. souffle Niko en portant sa main dans ses cheveux

- De quoi vous parlez ? Quels documents ? demandé-je

- Et bien, l'histoire que tu affectionnes tant et dont tu me fais suer à grosses gouttes !" s'exclame-t-il en levant les yeux au ciel

    Oh, ceux-là... C'est vrai que je lui en ai fait baver avec cette histoire... Bon bon, je vois absolument de quelle histoire ils veulent parler. Mais ça veut dire que depuis le début, je pouvais demander à Michelle les documents à la place de les voler comme je pensais le faire ? J'aurais pu gagner un précieux temps si elle savait où ils étaient "rangés". C'est à ce moment où je me rembrunis.

    Michelle fait un nombre de pas incroyable et se volatilise dans l'ombre de la pièce aux senteurs de café. Je vois la lumière crue de la salle des archives illuminer l'ombre de l'endroit où mute des gâteaux sortis d'un autre temps. Ses ballerines usées frottent contre le sol en PVC et s'arrêtent quelques instants. J'entends le grincement d'un tiroir deux fois puis encore le bruit de ses pieds. La lumière s'éteint et la porte se ferme lentement. Michelle resurgit des pièces du fond avec un gros carton qui a l'air lourd, enfin pour elle.