Chapitre 38

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    Ils sont là. Le chemin est noir de monde. Je perçois des battements de cœurs, des respirations mais pas d'odeurs. Ce sont eux. Ils répondent à ma lettre. Ils n'ont pas perdu une minute.

    Je sens Niko se tendre rien qu'à cette vision. Il reste pourtant droit, près de moi. Son poil est hérissé, ses crocs à découvert. Je l'aurai charrié en temps normal : on dirait un hérisson pas content.

    J'entends les grondements des morphes derrière moi. Ceux qui ne savent pas les secrets de la meute ne comprennent rien. Ils se demandent comment un tel groupe ne sente rien. Même les humains produisent bien plus d'odeurs. A contrario, ceux qui connaissent la vérité se mordent les doigts.

    Ils avancent, humant l'air. A la tête de la horde, un grand homme se tient. Sa carrure, son regard et son aura déstabilisante montre bien sa dominance sur les autres. Son apparence semble être un étrange mélange entre l'animal et l'homme. La différence entre eux et moi est le fait que je possède une part animale, une âme. Eux l'ont perdue en quittant les métamorphes. C'est leur point faible. Je suis sûre que quitter ce côté du jour au lendemain a été leur pire erreur. Certains ont dû le regretter amèrement. Peut-être sont-ils rancuniers ?

    Les polymétamorphes s'arrêtent enfin. Ils sont à quelques mètres de nous. Je ressens l'énergie qu'ils dégagent. Chacun d'eux possèdent une force folle. Tandis que je croisais le regard de tous les membres de sa meute, l'Alpha se mit à parler :

"Si je pensais un jour que l'hérétique allais me défier... Je ne pensais pas qu'il avait un tant soit peu de courage et de témérité. Regardez-moi ce loup. Mes saloperies de femme et de fille ont mis au jour un monstre. Mon sang n'aurait jamais dû couler dans un corps aussi impur. Impur, je veux dire par là, morphe. Je compte bien faire une pierre deux coups en tuant l'hérétique et toute sa joyeuse bande de bons à rien et de sans valeurs."

    Son ego est tellement grand qu'il pense ne pas avoir besoin de se présenter. Je connais son prénom. Duncan.

   Tous se mettent à grogner. Loyalement et sans comprendre à grand-chose, la meute déploie son aura. Personne n'attaque le cœur du clan sans réponse significative. Jusqu'à la mort, tous allaient lutter. C'est ça que nous appelons une famille.

    Rejoignant le flot d'énergie, je fais exploser mon aura, que tous sachent ce que je suis. C'est alors que les nuages se dispersèrent, libérant ainsi le Soleil. Un silence pesant vient nous englober. Puis un crier rageur.

    L'Alpha s'est métamorphosé en un lion noir. Ses yeux sont aussi sombres que la nuit. Il est bien plus gros que tout ce que j'ai pu imaginer. Je peux voir ses muscles rouler sous sa peau. Ses énormes pattes doivent, quant à elles, posséder des griffes aussi tranchantes que des rasoirs.

    Je me retourne et rencontre Kenzi du regard. Les mains sur son ventre, mes craintes viennent fendre mes espoirs. Je supplie du regard Ned pour qu'ils partent loin ensemble.

"Je suis l'Epsilon ici, je ne partirai pas.

- Rien à foutre ! Ton âge ne te permet pas de sauter dans le vide ainsi ! Va te protéger, allez-vous protéger."

    Elle me regarde longuement avant d'hocher la tête et de partir en courant avec Ned dans le manoir. J'ai su qu'il y avait un chemin souterrain en cas de nécessité. Bien. C'est fait.

    Prenant mon courage à deux mains, puisque c'est moi qui les ai fait venir ici, je m'avance. Le lion me toise et rugit. J'encaisse mais ne me laisse pas abattre. Niko s'est mis à me suivre. Quel loup têtu.

"Je suis Amia. Ma mère se nommait Hanna et c'est grâce à elle que je me trouve devant vous. Je suis une métamorphe, vous le savez très bien. Votre fille m'était très cher. -le loup à mes côtés grogne en me regardant- Sa mort, de votre main, m'a fait ouvrir les yeux. Nous devions régler le problème. Vous. J'ai passé toute ma vie à fuir la mort. Aujourd'hui je me confronte à elle car je sais que je ne suis pas seule. Je le pensais jusque-là. Que je sois morphe, métamorphe ou bien humaine, jamais je n'étais seule et à jamais je ne le serai. Contrairement à nous, vous êtes seul.

- Seul ? Je suis loin d'être seul, très chère. J'ai amené une armée à vos portes ! rumine le lion d'une voix lointaine, surnaturelle

- En êtes-vous si sûr ? Je veux dire, même s'ils vous suivent, sachez qu'une meute n'est pas à prendre pour acquise. Le respect se travaille et doit se garder avec le temps. Regardez-les, pour une fois. Remarquez leurs détresses. En avez-vous conscience ? Vous ne pensez qu'à votre tête couronnée. Votre femme vous a trompé ? Tout le monde doit prôner un nouveau dieu ! Vous avez trop d'honneur pour admettre votre erreur. Vous avez tué votre animal, vous avez perdu son âme. Vous n'êtes plus qu'une coquille vide."

    La haine débordant de ses pores, il gronde une dernière fois avant de me charger. Le cœur battant la chamade, je suis prête à esquiver lorsqu'un éclair noir vint s'abattre. Le lion a seulement été décalé mais il a perdu toute sorte de vitesse. Niko se redresse et sort de sa gorge un grognement qui en ferait pâlir plus d'un. Les deux animaux se font face. C'est terriblement inégal.

"Il a juste besoin de l'approcher suffisamment pour affecter ses émotions et ainsi le perturber. Il s'est préparé à ça toute sa vie."

    La voix de Steban m'atteint lointainement. Elle n'est pas aussi claire que toutes les autres fois. Pendant que le félin et le canidé se jaugent, je capte les murmures de la troupe de Duncan. Outre le fait que l'Alpha et Niko combattent, le plan que j'avais monté dans la cabane se déroule plutôt bien. Je me surprends à avoir eu raison.

    Mon corps s'avance de lui-même quand Niko, à bout de nerfs, se jette les crocs en avant sur le lion noir. Mon ventre se tord lorsque je capte l'odeur du sang. Avant même de le voir retomber douloureusement, je sais qu'il est blessé. Se redressant tout de même, la tête haute et les babines retroussées, nous pouvons tous voir sa blessure. Quatre traces de griffes sillonnent ses côtes.

    Le félin rugit comme emprunt à un rire incontrôlé. Sa bestialité est d'autant plus frappante en voyant ses veines palpiter de manière désynchronisée. Ses yeux noirs laissent voir des vaisseaux sanguins de taille disproportionnée. Il secoue sa crinière, faisant virevolter des gouttelettes de sang. Je serre les dents, de rage.

    Niko est vite rejoint par quatre autres loups. Ces derniers montrent les dents, le poil hérissé. Ils commencent à l'encercler. C'est une technique très connue chez les meutes de loups. Normalement, avant de passer à cette étape, ils auraient dû le fatiguer en le faisant courir. Je regarde Steban qui est resté sur les marches tandis que sa femme fait partie des secours. Il jauge du regard la situation. Ne la laissant pas se voir, son inquiétude prend place chez lui. Le combat n'est pas équilibré.

    Je cherche à me changer dans la précipitation, en vain. Je n'y arrive pas. Comme je l'ai pensé plus tôt, je reste à distance. Le vent glacé hurle dans les arbres, emportant avec son cri les odeurs de sang.

    Duncan, en ayant certainement marre d'attendre, roule les épaules et s'ancre dans le sol. Les galets blancs font contraste avec son pelage aussi noir que le néant.

"Amia, part. Enfuie-toi.

- C'est ma meute. Ma place est avec toi et les autres. Je ne compte pas partir sans toi. Tu aurais fait la même chose."

    Le loup noir se retourne. Son regard d'ambre s'ancre dans le mien et je peux tout voir, tout ressentir. Ma poitrine se sert face à cette tornade d'émotions. 

Différente : Déréliction [Fin]Where stories live. Discover now