Chapitre 4

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"Amia ! Je vais fermer la boutique. Alors soit tu sors, soit du campe ici. Je peux te dire qu'il y a peu de chance que tu sortes vivante de cet endroit après une nuit ; cafards, poussière des anciens temps, poudre de café mutante, livres hantés, ..."

    Je refais surface des étagères, les lunettes sur le bout de mon nez et les cheveux complètement décoiffés. Mes bras sont encore posés sur les planches et mon dos plié en deux. J'entends un insecte courir à côté de moi. De ce fait, je fais un bond et cours vers la porte. Je regarde la blatte se balader jusqu'à entrer dans un petit trou. Je place mes mains devant ma tête et souffle.

"Bon, okay." ricané-je en levant les bras

    Je récupère les deux documents que je suspecte être des morceaux de l'histoire de Pol, l'homme-loup, et sors de la pièce en éteignant les lumières. Je suis déçue car un des deux manuscrits est en morceaux. Je fourre le tout dans ma besace qui se trouve dans mon bureau. Je passe mon manteau sur mes épaules et entre dans le hall pour croiser Michelle toujours assise sur sa chaise derrière le comptoir. Des petites lunettes noires sont posées sur son nez crochus et elle étudie un genre de photo en noir et blanc.

    Je suis en train de regarder ce qu'elle fixe quand elle le cache précipitamment sous un tas de feuilles. Je mettrai ma main à couper qu'elle ne m'a pas vu. Elle se racle la gorge et me regarde un faux sourire aux lèvres. Elle a l'air si triste. Je lui demanderai bien mais je suis que son employé et elle a le droit de garder ses secrets. De plus, je ne la connais pas.

"Michelle ? Ça ne va pas ?" demandé-je timidement

    Ouais, j'adore faire l'inverse de ce que je me dis. Elle relève la tête qu'elle avait baissé et me dévisage. Elle semble réfléchir longuement. Je ne bouge pas, je la regarde juste mettre de l'ordre dans ses idées. Ses yeux s'illuminent et sa bouche s'ouvre pour commencer à parler mais, malheureusement, elle se fait couper par le tintement de la porte. Je me tourne et mon regard tombe sur monsieur mateur de fesses. Mon Dieu qu'il est beau mais si ce con ne l'avait pas coupé, elle m'aurait tout expliqué.

"Je suis désolé je ne voulais pas vous interrompre, je pensais que c'était encore ouvert. dit l'homme en tenant la porte

- Ce n'est pas grave." répond Michelle d'une petite voix en triturant ses mains

    Je la regarde baisser les yeux presque comme une soumise. Je fronce les sourcils avant de regarder l'inconnu, mais il est déjà parti. Je me demande ce qu'il veut de plus. Je reviens sur ma patronne et me rends compte qu'elle me tend une clef. Malgré l'incompréhension, je la prends.

"Tu pourras fermer derrière toi ?"

    Je hoche doucement la tête de haut en bas. Je me redresse quand elle se lève sur ses frêles jambes. Je la regarde partir dans la pièce sombre aux odeurs de café ; elle disparaît dans le noir. Je souffle un "bonsoir" et traverse le hall pour sortir. Dehors, il fait totalement nuit. Je n'ai pas regardé l'heure. Les rues parisiennes, normalement toujours actives, semblent totalement endormies. Des bruits plus ou moins forts résonnent autour de moi. Je regarde dans tous les côtés, alertée. Quand les craquements cessent, je ferme la porte grâce à la clef et la glisse dans ma poche.

    J'avance dans la rue dépourvue de lumière. Seules les fenêtres dévoilent un semblant de clarté dans cet univers. Des débris de verre rejettent des faisceaux de lumière. Le souffle du vent fait voler mes cheveux blonds déjà emmêlés. Les flaques de boue tâchent mes bottes en daim. Ça fait combien de paires que je jette ?

    Mais soudainement, mon pied glisse sur la bordure peinte. Je tombe lourdement à terre, là où ma tête se cogne. L'eau sale s'infiltre dans mes vêtements et dans mes cheveux, ajoutée à mon sang. Je regarde avec difficulté mon bras que je ne sens plus. Il est dans une drôle de position et saigne abondamment. "Drôle", c'est bien la dernière chose qui me passe par la tête en ce moment. Je retire un gros morceau de verre brisé de mon avant-bras. Je serre les dents avant de crier de souffrance. En effet, ce matin, je me suis bien levée du mauvais pied.

    Ma vision se dégrade dangereusement et je vois principalement du rouge, partout. Mon sang colore l'eau au sol. Je me roule en boule, gémissant et souffrant. J'ai l'impression que j'ai été traîné sur plusieurs mètres. Je tousse à m'en décrocher la gorge. Merde, c'est un mauvais plan ça. J'essaie de crier à l'aide mais le son que je fais n'est qu'un gazouillis.

    Un énorme grondement me fait sursauter. Un éclair strie le ciel noir au-dessus de moi. La pluie commence à tomber en de grosses gouttes. Mon visage tourné vers le ciel reçoit l'eau violemment. Je rampe jusqu'au mur le plus proche pour me protéger mais mon bras et plusieurs autres de mes membres ne me laissent pas l'autorisation. Je me sens comme un chien errant qui a été renversé par une voiture.

    Je me mets sur le dos pour alléger la tension de mon bras inerte. Je regarde la pluie et l'orage menaçant. Je n'ai plus que ça à faire de toute manière. Je repense à ma mère. Je me dis que je vais la laisser comme mon père l'a fait. Une vague de douleur me frappe ; je me tourne sur le côté et crache le contenant de ma bouche, sûrement du sang à l'heure qu'il est.

"Amia !!" hurle une voix très lointaine

    Quelqu'un se met à côté de moi et me prends par les épaules. Cette personne jure beaucoup de fois. Je lutte pour garder les yeux ouverts et essaie de regarder qui est cette personne qui vient à mon secours. L'endroit est trop sombre pour que je puisse voir quelque chose. Quand un éclair lumineux venant du ciel tonne, je vois immédiatement qui c'est. Hanna, ma chère mère, est à mon chevet.

"Tu m'entends ? Amia, ma petite chérie, je crois que c'est l'heure. Je ne voulais pas en arriver là, mais c'est pour ton bien. Dis-toi que pour toujours je t'aimerai et que je serai là quoi qu'il arrive dans ton cœur. Je t'aime, tu es mon trésor.

- Dépêchez-vous, nous n'avons plus de temps. lance une voix de nul part

- Okay, okay. Amia, ils vont te protéger, j'en suis sûre. Je t'aime, ne l'oublie jamais. Jamais."

    J'entends ces voix comme dans un brouillard de sons parasites. Elle pose ses mains sur mes joues et m'embrasse affectueusement sur mon front. A un second éclair, je vois qu'elle pleure. Je la prendrai bien dans mes bras mais je ne suis pas en mesure là tout de suite.

    Je suis incapable de voir l'autre personne qui a parlé ; soit elle est trop loin soit c'est moi qui ai un problème. Je pencherai pour la seconde option vu mon état. Hanna se retire en pleurant ou peut-être que c'est quelqu'un qui la retire. Je ne comprends plus rien depuis ce moment ; mon esprit s'embrouille. De là, mes yeux se ferment et mes poumons se vident. La dernière image que je vois nettement et ma mère tenue par une femme et à côté deux grands yeux orange dans l'obscurité s'avançant. 

Différente : Déréliction [Fin]Where stories live. Discover now