IV 10 - La promesse de vérité

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Nani me demanda :

« Y a un garçon qui t'a tapée ? »

Cela chassa de mon esprit l'image d'épouvante qui me paralysait. J'éclatai en sanglots et répondis :

« Oui. »

Du coup, Maman et Nani focalisèrent sur ce détail.

« C'est pas grave. Faut pas pleurer pour ça. Ils sont méchants, les garçons : ils tapent, ils tirent les cheveux... faut pas t'occuper d'eux. Fais-toi des copines et si un garçon t'embête, va le dire à la maîtresse ! »

Je ne comprenais pas pourquoi Maman et Nani accablaient ainsi les garçons. Ça ne me plaisait pas parce que, dans la classe, quand le garçon aux cheveux blonds et bouclés m'avait regardée, j'avais vu qu'il était malheureux.

Pour contrebalancer les accusations de Maman, j'ajoutai :

« Y a aussi une fille qui m'a tapée. »

Maman et Nani se mirent à blablater à propos des enfants méchants et des enfants gentils, d'éviter les premiers et de devenir amie avec les seconds...

Ça n'avait aucun sens ! Au jardin d'enfants, jamais aucun enfant ne m'avait tapée ; quand Papa et Maman et leurs amis se recevaient, jamais leurs enfants ne me tapaient. Gentils ou méchants, les enfants ne tapent pas absurdement.

Si Maman et Nani avaient si bien deviné qu'un garçon m'avait tapée en l'espace d'une seule matinée d'école, ça prouvait bien qu'il se passait quelque chose au niveau de l'école.

Ça m'étonnait, d'ailleurs, de la part de Maman et Nani, qu'elles accusassent un petit enfant de méchanceté sans même chercher à comprendre le pourquoi de son geste.

C'est ce que je voulus expliquer en disant d'un ton grave :

« C'est pas plus la faute du garçon que la mienne, s'il m'a tapée.

- Tu as raison, répondit Nani. En cas de conflit avec un enfant de ton âge, c'est bien de te rendre compte que les torts sont partagés entre lui et toi mais une fois que tu t'en es rendu compte, il faut bien rejeter la faute sur quelqu'un. L'autre dira toujours que c'est toi, la fautive. Alors, fais-en autant ! Accuse-le pour te protéger ! Sinon, tu te feras piétiner.

- Mais non, c'est pas ça.

- Alors, quoi ?

- Je sais bien que moi, j'étais gentille et que je méritais pas qu'on me tape. C'est pas moi qui lui ai donné envie de me taper ; c'est l'école. C'est ce qui se passe à l'école qui rend les enfants comme ça.

- Te dis pas ça ! sinon, t'arriveras jamais à te plaire, à l'école.

- Je sais. »

J'avais du mal à parler entre les sanglots mais ça y était : j'avais au moins réussi à faire comprendre que je ne pouvais pas me plaire dans cette école.

Non, pas encore ! Nani continua d'insister, prétendant que je pouvais quand même me plaire à l'école, qu'il me suffisait, pour ce faire, d'oublier ce que je venais de dire, d'oublier que le système scolaire était à la source de mon conflit avec le garçon.

Après tout, s'il m'avait tapée, c'est qu'il avait voulu voir en moi la source de son malheur (effectivement généré par le système scolaire, soit). Il fallait, pour me plaire à l'école, que j'en fisse de même, que je me vengeasse sur lui en le traitant de méchant.

Lasse, je dis d'une voix vide :

« Oui, j'ai vu. C'est bien comme ça que ça se passe à l'école mais moi, je peux pas faire ça. J'ai promis.

- T'as promis ? demanda Maman en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que tu as promis. ? À qui t'as promis ?

- À moi. Quand j'étais dans l'école et que j'avais le droit de choisir de ne pas y retourner, je me suis promis de ne jamais oublier ce que vivent les enfants qui y sont prisonniers. Si on m'avait dit plus tôt qu'on m'obligerait à y retourner, je me serais pas promis mais, maintenant, c'est trop tard : la promesse est dans mon cœur. J'ai pas envie de parler de l'école. Depuis tout à l'heure, je me force pour vous faire comprendre mais si vous voulez pas comprendre, c'est pas la peine. Laissez-moi tranquille ! J'veux aller dans ma chambre, m'allonger et fermer les yeux. »

DATE ET LIEU DE NAISSANCEWhere stories live. Discover now