VII 11 - Le monstre aux trois apparences

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La tête qu'il avait faite ! On aurait dit... un enfant, un garçon pour de vrai. Était-ce réellement Camille que je voyais dans mes rêves ? Est-ce possible que deux dormeurs se rencontrent véritablement dans le monde des rêves ? Est-ce que Camille a toujours un corps de singe, dans le monde des rêves ? Et moi, à quoi je ressemble ? Ai-je déjà rêvé que je me regardais dans une glace ?...

Le temps passa et ce vieux rêve d'amoureux (je veux dire : ce vieux cauchemar de singe) sombra dans l'oubli. Du moins, c'était par périodes : des fois, il venait toutes les nuits ; d'autres fois, il se taisait et je n'y pensais plus... jusqu'à ce qu'il revînt.

Ce n'était même plus un cauchemar : trop calme, trop inhabité. Souvent, la nuit, je rêvais que je marchais dans la cour de récréation à la recherche de mon amoureux mais il n'y était pas et moi, du coup, j'étais toute seule, toute malheureuse.

Des garçons, pourtant, il y en avait plein autour de moi. J'aurais pu être tentée, pour couper court au problème, de prendre le premier venu, au hasard, et d'essayer de convaincre mon rêve que c'était celui-là, mon amoureux ; d'autant que tous ces garçons, autour de moi, n'avaient rien de monstrueux.

Mais non. Rien que de concevoir cette idée me faisait voir dans les yeux des garçons une sorte de froideur, de rejet ; genre :

« Qu'est-ce que tu me veux ? J'te connais pas. C'est notre copain qui t'attend. »

regard qui me faisait éprouver presque de la honte d'avoir conçu l'idée.

En même temps, je percevais, cachées dans un nuage, des filles prêtes à crier salope si j'osais convoiter leur amoureux à la place du mien.

Mais non ! mais pourquoi ça devait être tout le temps moi qui avais un monstre à longue queue dégoûtante pour amoureux ? J'en avais marre, à la fin, de ce rêve pourri !

Pfff ! Je n'avais même plus d'amoureux. Chaque nuit, j'errais à l'intérieur de ce vieux rêve trop calme, au milieu de garçons qui n'étaient rien pour moi, que je n'avais même pas le droit de regarder... Pfff !

Finalement, pour mettre un peu d'ambiance, je finis par rêver que je levais quand même les yeux sur les garçons et leur disais :

« Dites à votre copain que, moi aussi, je l'attends.

- C'est le monstre.

- Même, je l'attends parce que c'est lui, mon amoureux. »

Un personnage sortit (d'une classe) et marcha lentement vers moi. Il avait le visage de Camille, le corps d'un singe avec une longue queue dégoûtante et... autre chose, que je n'arrivais pas à décrire mais qui me faisait peur, plus peur que le singe.

Le personnage s'arrêta à une distance raisonnable et me dit :

« S'il te plaît, t'en va pas ! J'ai quelque chose à te montrer. »

puis, il se rua sur moi et je me réveillai.

Toutes les nuits, ça revenait pareil. J'expliquai au personnage que je ne pouvais pas ne pas m'enfuir. Ce n'était pas pour me moquer de lui, c'est parce que j'avais peur d'être dans un cauchemar.

Toutes les nuits, pour vaincre ma peur, il revenait devant moi et me disait :

« S'il te plaît, t'en va pas ! J'ai quelque chose à te montrer. »

Petit à petit, je le laissais approcher mais il me serrait trop fort avec son bras. Alors, je m'échappais du rêve en criant :

« Tu m'fais mal ! »

et ainsi de suite :

« Là, j'serre pas fort. J'te fais pas mal ?

- Si, tu m'écorches le cou avec tes piquants. »

Oui parce que ses bras et son dos étaient recouverts de piquants, parce que c'était un hérisson.

Un mercredi matin (comme tous les mercredis matin), ma mère m'emmena avec elle faire les courses. Montant les marches de la poste, nous croisâmes Camille qui en sortait avec sa mère.

Ce n'était pas un rêve ; c'était pour de vrai. Je ne savais même pas que ça se produirait un jour. Ça faisait presque deux ans... J'étais vraiment stupéfaite de voir Camille surgir soudainement, réellement, juste devant moi.

Lui parut étonné de la réaction de mes yeux. Apparemment, j'étais très loin, dans sa mémoire. Il passa à côté de moi en détournant le regard, genre :

« Je dois suivre ma mère. Au revoir. »

Sur le coup, ça me donna envie de pleurer. Il ne fallait pas que je pleurasse : il y avait ma mère à côté et je voulais qu'elle ne fût au courant de rien. Pour me consoler, je me dis qu'au moins, maintenant, j'avais la réponse à ma question : non, Camille ne rêvait pas de moi comme je rêvais de lui.

Ben non, décidément, ça ne me consolait pas.

Pendant que ma mère faisait ses affaires à la poste, j'essayais de mettre de l'ordre dans mon esprit.

Le regard que Camille m'avait lancé, sur les marches de la poste, était proche de celui des garçons de mon rêve, ceux qui disaient :

« Qu'est-ce que tu me veux ? J'te connais pas. C'est pas moi, ton amoureux. »

et, surtout, le visage de Camille... ce n'est pas le détail que j'avais mis en avant, sur le coup, mais quand j'avais rencontré Camille sur les marches de la poste, j'avais été frappée de retrouver son visage tel qu'il était autrefois... si différent de celui du monstre au corps de singe.

« C'est pas Camille qu'est dans mon rêve !... »

murmurai-je mais, déjà, ma mère avait quitté le guichet auquel elle avait fait ses affaires et revenait me prendre la main pour sortir de la poste. Alors, je me tus.

Souvent, la nuit, je rêvais d'un amoureux pas comme les autres qui marchait vers moi dans un décor de cour de récréation de garçons. C'était un personnage fantastique, un monstre avec trois apparences qui se mélangeaient : il avait un beau visage de garçon avec des cheveux blonds et bouclés (un peu comme Camille), un corps de singe, de marmouset vulgaire et grotesque et une cuirasse de hérisson féroce et offensif.

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