X 23 - Esprit, es-tu là ?

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Mouais. Seul un vrai rocker pouvait me révéler le moyen de faire exister le rock n roll. Qui était un vrai rockeur ? Pas Nani. Pas Caki. Pas Bernard. Pas Catherine. Pas même Françoise. Aucune personne présente à notre soirée. Vers qui me tourner, alors ? Des rockeurs, vrais de vrais, les seuls que je connaissais, étaient les quatre loubards en blousons noirs et les cheveux en banane que j'avais rencontrés, un mois plus tôt, au bal du 14 juillet à Cesson-la-Forêt.

Dans le sous-sol silencieux, à l'écart de Caki et Nani, je me tournai en direction du quartier de Cesson-la-Forêt, me fis une image mentale aussi présente que possible des quatre loubards et je leur demandai intérieurement, de toutes mes forces, de m'aider à savoir ce qu'il fallait que je fisse pour être une vraie rockeuse.

« Pourquoi on t'aiderait ? Tu es qui, toi ? »

fut, grosso modo, la réponse que me renvoya mon imagination.

« C'est moi, la petite fille du bal de Cesson-la-Forêt. Vous vous rappelez pas ? Le rock n roll est présent dans la pièce. Je le sais parce qu'il a fait une blague à ma copine Françoise : il l'a fait tomber en hystérie. Son frère est pas content. Il veut faire disparaître le rock n roll. Moi, j'veux pas qu'le rock n roll disparaisse. J'veux qu'y continue d'exister mais y peut pas exister si y a pas un vrai rockeur pour l'incarner. Les grands qui sont avec moi, c'est pas des rockers (mais ys sont gentils, faut pas leur faire du mal, c'est mon frère, ma sœur et nos amis). Y a que moi ici qui veux ětre une rockeuse mais je sais pas c'qu'y faut que j'fasse. Aidez-moi ! »

Telles furent les paroles qui se bousculèrent dans ma tête et, pour leur donner du poids, je conclus à voix haute :

« Au nom du rock n roll qui nous unit ! »

Ça m'était venu, comme ça, machinalement. Quand j'entendis ces mots sortir de ma bouche, solennels et puissants, on aurait dit que c'était de la magie. D'ailleurs, cela eut pour effet... d'inquiéter Caki et Nani, genre :

« Ça va pas, non ! Tu vas pas t'y mettre aussi.

- Quoi ? J'ai l'droit d'parler, répondis-je.

- Oui, ben... reste calme !

- Je suis calme... »

Et je voyais mon Caki et ma Nani, tous deux debout, côte à côte, qui insistaient, inquiets :

« Calme ! Calme ! Reste bien calme ! C'est tout ce qu'on demande. »

Avaient-ils peur que je tombasse à mon tour en hystérie ? J'avais beau leur assurer que j'étais calme, parlant d'une voix calme, les bras tombant mollement le long de mon corps calme, depuis que j'avais prononcé la phrase étrange, on aurait dit que quelque chose de mystérieux émanait de moi, qui semblait déconcerter Caki et Nani.

« Je suis calme, très calme. »

soutins-je, ressentant intensément le calme en mon corps et dans la pièce.

Nous vîmes aussitôt Catherine et Bernard redescendre auprès de nous, affectant, par de larges sourires, une vive satisfaction. Fiers comme des coqs, ils nous annoncèrent :

« Eh ben, ça y est ! on en est venu à bout. C'était pas si difficile : à peine on a mis la petite Françoise dans son lit, elle est tombée dans les bras de Morphée.

- Pourquoi ? Il l'attendait en blouson noir ? »

fis une petite voix très calme, sombre et provocante.

Catherine et Bernard se raidirent comme si on venait de leur glisser une main glacée dans le dos. Les quatre grands se tournèrent vers moi et me regardèrent, muets et stupéfaits, tandis que j'étais nonchalamment appuyée contre l'embrasure de la porte, dans une attitude très rock n roll.

L'esprit du rock n roll était descendu sur moi, je l'avais incarné et lui avais donné la victoire, comme une vraie rockeuse.

C'était quand j'avais neuf ans. 

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant