V 13 - Les enfants piégés

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Pendant ce temps, les enfants, soulagés de leur mission essentielle, purent se consacrer - purent consacrer leur intelligence - à eux-mêmes, à leur avenir, à leur présent, à leurs rêves, à la liberté, à l'amour... Ils s'efforcèrent de grandir le plus vite possible et atteignirent bientôt la taille requise pour faire un bébé (ce trente millionième ami tant attendu !)

À ce moment tomba l'avortement comme un couperet dans l'esprit d'enfants qui n'avaient jamais imaginé que cela pouvait leur arriver à eux.

Il n'était plus question de lancer à la face des adultes :

« J'croyais qu'vous aviez dit qu'fallait pas faire de mal à une petite créature ignorante ! »

Ah ! Non. La comédie était terminée. Les masques se levèrent.

« Comment ! Tu t'es traînée dans le lit d'un garçon, à ton âge et tu voudrais nous faire la morale, à nous, tes parents ? Est-ce que tu sais au moins ce que c'est, d'être mère ? Demain, nous t'emmènerons te faire avorter. C'est sans appel. Maintenant, va faire tes devoirs car tes résultats scolaires ne sont pas à la hauteur de nos exigences ! »

N'y avait-il pas d'autres solutions ? Les adultes y ont-ils seulement réfléchi ?

En tout cas, moi, j'avais drôlement de chance d'avoir eu cette discussion avec ma mère, quand j'avais neuf ans ; ce fameux dialogue au cours duquel j'avais appris que se faire violer par la mort, ça existe pour de vrai et ça s'appelle l'avortement.

Et encore, on ne peut pas dire que cette conversation eût abouti à un résultat pleinement satisfaisant parce que lorsque j'étais parvenue à faire comprendre à ma mère que ma fibre maternelle était telle que j'étais psychologiquement incapable d'accepter le meurtre de mon enfant dans mon ventre, elle avait simplement conclu :

« Je veillerai à ce que tu ne tombes pas enceinte. »

Je ne comprenais pas cette obstination à refuser, à rejeter mon bébé à moi.

« J'ai pas le droit de devenir une maman comme toi ? Pourquoi, mon bébé, faut pas qu'y vive dans mon ventre sinon tu veux le tuer ? »

avais-je demandé à ma mère en caressant mon pauvre ventre de petite fille.

Elle en avait été attendrie, m'avait répété le mot « prématuré » et me l'avait présenté comme un danger qui menace les enfants précoces.

Pour me faire comprendre ce concept, elle avait pris une comparaison :

« Imagine un bébé, dans le ventre de sa mère, dont l'esprit évolue plus vite que la normale. Au bout de six mois de grossesse, il aura envie de sortir, de naître à la vie mais ce sera trop tôt, il ne sera pas viable. Il faudra que la mère le retienne dans son ventre encore quelques mois. »

Cette histoire avait résonné en moi comme un vieux souvenir, le souvenir de vouloir naître enfin au monde supérieur et d'être prisonnière d'un ventre dans lequel je me sentais étouffer ; le souvenir de ma colère contre ce ventre possessif.

Oui, je voulais vivre à tout prix et je comprenais, dix ans plus tard, que si le ventre m'avait laissée partir, la mort se serait aussitôt emparée de moi. C'était un piège.

De même, mon cœur de petite fille portait une maman qui était pressée de vivre mais qui n'était pas encore mature. Il fallait la retenir encore quelques années...

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant