I 9 - Le comble de l'horreur

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- Si ! Si c'est en te concentrant sur lui que tu m'as fait une telle description de la notion de viol, alors il se cache derrière. Je veux savoir quel est ce monstre qui tourne autour de toi. Continue !

- J'y arrive pas ! J'vois pas quoi dire de plus. Pose-moi une question !

- Par quel moyen est-ce que la mort peut toucher quelqu'un sans le tuer ?

- ... »

Depuis le début de la conversation, chaque fois que ma mère me demandait de décrire le croque-mitaine, je mettais mon avant-bras gauche à l'horizontale et je l'attrapais avec ma main droite, pour mimer le monstre qui emporte l'enfant. Ce n'est qu'après avoir fait ce geste que les mots me venaient.

Cette fois, j'avais beau le faire et le refaire, je ne trouvais vraiment plus rien à ajouter et ma mère regardait avec inquiétude cette main qui s'abattait sur mon bras, comme si c'était le monstre qui menaçait.

Elle me dit soudain :

« Donne-moi un exemple !

- Un exemple ? Oui, ça, c'est facile ; (j'avais un exemple dans ma tête depuis le début mais je ne l'avais pas mentionné tellement cela me paraissait improbable) par exemple, ce serait que la mort entre dans le ventre de la fille pour arracher son bébé et l'emporter... le bébé... Laisser la fille intacte, vivre après avoir arraché le bébé de son ventre. Moi, on me ferait ça, y aurait pus qu'à m'enfermer à l'asile, après ! »

À la façon dont ma mère me regarda, je pressentis qu'elle allait me dire un truc genre :

« Tu sais, Angélique ! Il y a parfois des fatalités qu'il faut se tenir prêt à affronter. »

Je pris les devants et précisai :

« je ne parle pas de fausse-couche. Je sais que la maladie peut emporter un enfant, qu'y soit dans un lit d'hôpital, dans les bras ou dans le ventre de sa mère. Ça, oui, c'est la fatalité. C'est qu'y pouvait pas vivre, il était trop faible. Moi, je parle d'arracher un bébé des bras ou du ventre de sa mère - un bébé en bonne santé - et le tuer. Si on arrache le bébé des bras de sa mère, c'est un meurtre mais pas un viol parce que la fille peut pas dire qu'elle ait été touchée dans son propre corps. Si on arrachait le bébé qui est à l'intérieur de son ventre, èe pourrait dire qu'elle aurait été violée par la mort, non ? Ce serait bien le plus terrible de tous les meurtres et de tous les viols. Tuer un bébé plus innocent que l'enfant qui vient de naître ! À l'intérieur du refuge qui est le symbole de tous les refuges de la terre ! Du monde entier et de l'existence toute entière, l'endroit où on est le plus en sécurité, c'est dans le ventre de sa mère. Tu t'rends compte : voir son enfant se faire assassiner, c'est aussi grave que mourir soi-même, n'est-ce pas, maman ? Alors, t'imagines ! Assassiner un bébé à l'intérieur même du ventre de sa mère ! Moi, on m'f'rait ça, il faudrait me tuer avec parce que j'm'en remettrais jamais. Vivre avec un ventre qui aurait été le théâtre de l'assassinat de mon bébé ! Ce serait le comble de l'horreur. »

Ma mère était silencieuse et immobile, les yeux fixes et grand ouverts, l'air livide. Il faut dire que j'étais allée drôlement loin dans l'absurdité et l'ignominie. C'était pas de ma faute ! Elle m'avait poussé à dire ce qui me passait par la tête ; alors, j'avais dit n'importe quoi. Si cette idée m'était venue à l'esprit un autre jour, quand je réfléchissais toute seule, je l'aurais rejetée sans lui accorder le moindre crédit.

Pour me rattraper, j'ajoutai :

« Je sais bien que ça n'existe pas. C'est dans mes pires cauchemars. »

Ma mère me répondit d'un ton sévère :

« Si, ma petite fille. Ça existe. Ça s'appelle l'avortement et c'est la seule réponse parentale à une grossesse prématurée. »

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant