VIII 5 - Mes héros

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Les gens qui, sur la piste, dansaient le rock n roll avaient l'air parfaitement ordinaire, même pas particulièrement des jeunes. J'aurais même été tentée de dire qu'il ne se dansait là que le rock des bouseux.

« C'est eux, les loubards ? »

demandai-je à ma grande sœur.

« Mais non, c'est pas eux mais parle doucement ! Va pas attirer leur attention sur nous !

- Ben, avec la musique, chuis bien obligée de parler fort. Où ys sont ? Pourquoi j'les vois pas ?

- Tient ! ils sont là mais regarde-les discrètement ! »

Quatre jeunes gens venaient d'arriver sur la piste. Ils avaient des blue-jeans, des blousons noirs, les cheveux en banane et dansaient avec un style très particulier. Ah ! Là, ok, c'étaient bien des rockers.

Je savais que Nani m'avait dit de les regarder discrètement mais, dans un premier temps, j'étais immobile, bouche bée, les yeux écarquillés. Dans un deuxième temps, j'étais immobile, bouche bée, les yeux écarquillés. Si j'avais eu devant moi... un chanteur ?... non... un acteur de cinéma ?... non... le président de la république ?... pff !... un personnage de légende ?... non... personne ! Personne, après Dieu, n'aurait pu me faire autant d'effet que ces quatre rockers, pour de vrai, devant moi, en chair et en os... à Cesson-la-Forêt !

De toute façon, ils ne faisaient pas gaffe à moi : j'étais petite et, en plus, ils parlaient et s'amusaient entre eux sans s'occuper du reste.

Ils ne s'occupaient même pas de danser le rock n roll que j'ai décrit, deux pas deux (d'autant qu'il n'y avait pas de filles avec eux). Ils étaient tous les quatre, groupés au milieu de la piste, sans se tenir les mains. Ils se dandinaient tranquillement au rythme de la musique tout en papotant et rigolant ; remuant les genoux et les épaules, genre : rock n roll.

Ils savaient même faire le numéro d'acrobatie que seuls les vrais rockers savaient exécuter. Il s'agissait de se pencher en arrière, le plus bas possible... encore plus bas... tout en remuant les épaules... encore plus bas, les genoux fléchis, le dos à l'horizontale ; juste le droit de poser une main par terre, derrière soi. Puis, se relever sans tomber les fesses par terre.

« C'est vulgaire, c'est des manières de mauvais garçons »

disaient les parents avec dédain.

N'importe quoi ! Quelle mauvaise foi !

Pour de vrai, ça venait d'un jeu traditionnel des cow-boys. Je le savais parce qu'on le voyait dans les westerns. Le jeu consistait à passer sous une barre placée bas en se penchant en arrière, sans toucher la barre et sans mettre les mains par terre. Après, on baissait la barre de plus en plus et, par élimination, celui qui arrivait à passer la barre au plus bas avait gagné.

Quand on voyait ça, dans les westerns à la télé, tout le monde s'accordait à dire que c'était spectaculaire et admirable. Par contre, dès que des loubards en faisaient autant, alors là, ça faisait mauvais genre. J'aurais bien aimé comprendre le pourquoi d'un tel parti pris.

Heum ! heum ! Mouais... enfin, c'est vrai qu'il y avait un petit quelque chose en eux qui ne me paraissait pas très très catholique. Quoi ? Mystère et boule de gomme !

Je les aimais bien quand même.

En tout cas, je n'aurais jamais imaginé combien les rockers pouvaient être des garçons soigneux : tout en dansant, ils n'arrêtaient pas de tirer leurs peignes de leurs poches pour remettre leurs cheveux en place ; surtout le blond. En plus, il était beau (enfin... moi, j'étais petite ; c'était pour Nani que je me disais ça).

DATE ET LIEU DE NAISSANCEWhere stories live. Discover now