IX 5 - Le cadavre qui faisait semblant de vivre

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J'étais sur le point de m'effondrer quand, en plus, j'entendis murmurer à mon oreille quelques mots qui me firent sursauter :

« C'est moi qui dois gagner. Sinon...

- Ça s'peut pas ! »

murmurai-je machinalement, voulant effacer le cauchemar.

J'attendis que ma mère me grondât et me demandât de sortir pour pouvoir dire enfin du monstre : « et lui, qu'est-ce qu'il fait là ? » mais les choses ne se passèrent pas ainsi. Ma mère n'eut pas le temps de réagir que le monstre avait déjà mis un bandeau sur ses yeux et un bâillon sur sa bouche, après m'avoir adressé un sourire narquois. Et moi, j'étais épouvantée.

Je savais bien que, dans la réalité, quand on a un bandeau sur les yeux, on ne peut plus rien voir du tout et qu'on sait que c'est le bandeau qui empêche la vision. Je savais aussi très bien que, dans la réalité, quand on a un bâillon sur la bouche, on ne peut plus rien dire du tout, à part « mmm... mmm... ». Dans la réalité, en jouant avec mon grand frère et ma grande sœur, il était déjà arrivé qu'il me missent une écharpe sur les yeux en guise de bandeau ou sur la bouche en guise de bâillon. Alors, je savais ce que c'était.

Dans mon cauchemar, quand ces objets furent posés sur les yeux et la bouche de ma mère, il devinrent invisibles. Alors, elle me regarda en souriant et me dit d'une voix douce et réjouie :

« Tu as vu cette magnifique journée que nous avons ? Ouvre donc les volets, pour que nous profitions de ce beau rayon de soleil ! »

Quoi ?! Quelle importance, le temps qu'il fait, quand on est en plein cauchemar ? Et depuis quand y avait-il du soleil dans mes rêves nocturnes ? Qu'est-ce qu'il faisait là ? Et puis, cette façon de parler, ce n'était pas ma mère. En plus, dans la réalité, elle m'avait toujours interdit d'ouvrir les volets, sous prétexte qu'elle avait peur que je tombasse par la fenêtre. Devais–je obéir quand même ?

Alors que je restais là sans bouger, pétrifiée de stupeur, ma mère sortit de son bain et vint vers moi, sans s'habiller ni même se sécher. Elle me prit par la main et me dit d'une voix vide :

« Que veux-tu que nous fassions ensemble, aujourd'hui ? »

Après, il y a un passage du cauchemar qui est un peu flou dans mes souvenirs. Tout ce que je sais, c'est que le monstre aurait voulu que je me satisfisse de ce semblant de mère disposé à faire mes quatre volontés alors que moi, je voulais qu'elle sortît de sa torpeur et qu'elle redevînt elle-même ; quitte à ce qu'elle m'opposât son caractère, quitte à ce qu'elle me grondât. Je voulais ma vraie maman.

Finalement, il m'apparut que ce corps vide et nu dont je tenais la main était le cadavre de ma mère, que le monstre l'avait tuée, que j'étais seule face à lui et que j'étais en train de lui tenir tête en refusant de me satisfaire de ce semblant de mère disposé à faire mes quatre volontés (mais que ce n'était qu'un cauchemar). Je retirai donc ma main de celle du cadavre qui s'en alla gésir par terre et la suite du cauchemar redevint plus nette dans mes souvenirs.

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