VIII 10 - Un rêve sans nom

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- La question n'est pas de savoir si je pense à lui ou pas. Depuis que je sais que le monstre n'est pas Camille, c'est comme si un invité était parti d'entre le monstre et moi. On peut se permettre des choses qu'on se serait pas permis en présence de Camille.

- Tu continues pourtant à voir en lui un monstre ?

- Oui : il a un visage humain et le corps d'un animal donc c'est un monstre. Camille est sorti du rêve, le monstre est resté. »

Il s'agit d'un rêve que je faisais souvent la nuit. Je ne peux pas dire quand ça avait commencé. Je sais que je m'étais mise à le rêver très fort après l'histoire du gymnase mais il est probable que je l'eusse déjà fait quand j'étais en maternelle. Peut-être même qu'il était encore plus vieux ; peut-être qu'il naquit avec moi.

C'était quand j'étais en maternelle que Nani avait enrichi mon vocabulaire d'un mot nouveau en me demandant :

« Comment il s'appelle, ton amoureux ? »

Je n'avais pas compris à quoi elle avait voulu faire allusion. L'amour, je le connaissais. Il était partout : dans la famille, dans le soleil qui se reflétait sur les pierres, dans les yeux des passants, dans les ailes des papillons... Un amoureux, je n'avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait être.

Pressée par l'insistance de Nani, j'avais finalement considéré que le rôle de mon amoureux - tel qu'elle me l'avait décrit - revenait à celui des garçons de ma classe qui s'appelait Camille.

M'en étant convaincue, j'avais associé le Camille à un rêve qui, lui, n'avait pas de nom. Ainsi, dans un premier temps, le concept de l'amoureux de maternelle m'avait aidé à prendre conscience du rêve ; surtout que Camille me faisait beaucoup moins peur que le monstre. Un amoureux, ça me faisait toujours un peu peur parce qu'il s'en faillait de peu qu'il ne blessât mon cœur. En revanche, le monstre de mes cauchemars me terrifiait bien trop pour que je pusse seulement le regarder en face. Dès lors que Camille était dans le rêve, ça allait mieux.

Petit à petit, je m'étais familiarisée avec ce personnage un peu braque, un peu agité mais pas très méchant. C'était un monstre de cauchemar mais un petit monstre, inoffensif et animé par l'amour.

Il n'empêche qu'à chaque fois, il se jetait sur moi, me serrait le cou et m'écorchait avec ses piquants. Même si je me disais que ce n'était qu'un rêve et que j'avais presque pas peur, son étreinte m'étouffait. Même si rien de rationnel ne le justifiait, j'éprouvais un besoin physique de me réveiller pour respirer, comme si j'avais eu la tête sous l'eau.

À chaque fois, dans le rêve, je lui disais que jamais je ne le suivrais de la sorte, que s'il voulait que je vinsse avec lui derrière le donjon pour me montrer quelque chose - comme il le prétendait - il fallait qu'il me laissât marcher gentiment à côté de lui, sans me brusquer, sans me bousculer. Il ne m'écoutait jamais, cet abruti !

C'était à l'époque où j'en étais arrivée là de mon rêve que j'avais croisé Camille sur les marches de la poste et que je m'étais rendu compte que son visage n'était pas celui que je voyais dans mon rêve. Lorsque, la nuit, le monstre revint me sauter dessus comme un fou, il m'apparut qu'il n' était pas Camille. Je le regardai différemment et, me débattant sous son étreinte, je criai spontanément :

« Tu le sais que je te suivrai jamais comme ça. Tu le fais exprès rien que pour serrer ton sale corps de singe mâle contre moi ! »

Je n'aurais jamais osé dire ça à Camille. Ma timidité, elle était restée sur les marches de la poste.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant