I 8 - Le croque-mitaine

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« Selon moi, le plus grave des viols, ce serait de se faire violer par la mort.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Eh ben, ce serait un viol dans lequel le violeur, au lieu d'être un homme, ce serait la mort en personne.

- J'entends bien mais je ne comprends pas. Si la victime trouve la mort, c'est que l'homme auquel elle a affaire est un tueur.

- Oui mais c'est pas ce que je veux dire. Tu te rappelles la fois où Tata Lili avait parlé du croque-mitaine ?

- Oui, je me souviens.

- Elle en parlait comme d'un violeur, n'est-ce pas ?

- Oui, je crois que c'est ce qu'elle voulait dire.

- Mais, en même temps, elle disait qu'il n'était pas humain. Eh ben , dans mon esprit, le croque-mitaine, c'est la mort (personnifiée).

- D'accord, mais comment est-ce que tu rattaches ça à l'idée de viol ?

- Eh ben, je sais pas décrire l'idée de viol. Je sais qu'un garçon de maternelle qui baisse la culotte des filles a une idée de viol. Je sais qu'un Jack l'éventreur qui tue des femmes a une idée de viol aussi. Pourtant, je n'arrive pas bien à voir le rapport entre les deux. Il me semble que ça a un rapport avec mon corps qui m'appartient : un homme dans la rue n'a pas le droit de me toucher.

- Oui., c'est ça. C'est une bonne explication.

- Oui mais ça n'explique pas tout. On n'a pas le droit de me toucher pour m'assassiner. Or, tous les assassinats ne sont pas considérés comme des viols et tous les violeurs ne tuent pas mais des fois oui. Alors, j'y comprends rien, moi !

- Non, faut pas dire que tu n'y comprends rien. Ce que tu viens d'expliquer, tu l'as compris.

- Oui mais ça, c'est seulement l'idée que je m'en fais.

- Eh bien, ton idée est bonne ; ce que tu as dit est exact. Continue !

- Ben... c'est tout.

- Non, tu ne m'as toujours pas dit ce que tu entends par "se faire violer par la mort".

- C'est une image.

- Décris-la !

- C'est dur !

- Essaye !

- Eh ben... c'est être touché... par la mort... mais rester en vie. Oui parce que si on te touche, tu continues à le sentir longtemps après. Par exemple, si on te donne un coup de poing dans le bras, le coup ne dure qu'une seconde mais toi, tu le sens dans ton bras plusieurs minutes ou plusieurs jours, selon la force de la douleur. Si on te fait une caresse sur le bras, la sensation reste sur le bras un certain moment mais tu n'y fais pas forcément attention parce que c'est une sensation plus faible. Passe ta main sur ta joue et, juste après, concentre-toi sur ta joue ! tu te rends compte qu'elle garde le souvenir du frottement un certain temps. Alors, si un monsieur très moche et très sale te touche le bras, tu gardes une impression de dégoût aussi longtemps que le souvenir de ce contact est dans ton bras. C'est ça, être violée... à un certain degré... surtout si c'est une caresse. C'est se sentir touchée... par la main ou par les yeux... dans le corps ou dans l'âme... alors qu'on voulait pas. Le souvenir qu'on en garde est peut-être pire parce qu'au moment du viol, on est dans un état second, on est sous l'emprise du violeur et on fait sa volonté. Après, quand on reprend ses esprits, on se souvient non seulement de ce qu'il a fait mais aussi de l'avoir laissé faire. »

Oui parce que, Nadia, quand elle avait dit :

« Le garçon ! Y va baisser ma culotte ! »,

elle ne voulait pas que ça arrive. Comme c'était arrivé quand même, elle avait pleuré après. Par contre, pendant que le garçon baissait sa culotte et regardait ses fesses, elle était euphorique. C'est pour ça que moi, j'avais cru qu'on pouvait en rire mais, en vrai, c'était parce que son âme était sous l'emprise du viol.

Ma mère restait devant moi à me regarder silencieusement ; alors je conclus :

« Voilà ! j'ai tout dit.

- Non, tu ne m'as toujours pas dit ce qu'est le croque-mitaine.

- Mais ! il existe pas, en vrai. Tu vois bien, j'ai dit tout ce que je pouvais à son sujet et il est pas apparu.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEWhere stories live. Discover now