I 4 - Un étrange tableau

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Qui est ce croque-mitaine dont avait parlé Tata ? Elle m'avait dit que c'est un monstre inhumain qui s'attaque aux petits enfants ; un monstre de légende qui, pourtant, existe (du moins, Tata croyait en son existence).

Le croque-mitaine n'est évidemment pas le garçon qui venait de baisser la culotte à Nadia. Pourtant, de ce que Tonton et Tata avaient dit, je déduisais que ce garçon et le croque-mitaine ont un point commun : ce sont tous les deux des violeurs.

Un violeur, c'est un garçon qui aime trop les fesses des filles ou un homme qui aime trop... la beauté des dames. Il en est fou. Comme toute folie, celle-ci peut atteindre différents degrés, allant du garçon de quatre ans qui baisse la culotte des filles à Jack l'éventreur, en passant par plein de violeurs aux idées toc-toc, surprenantes et inquiétantes.

C'était peut-être pour ça que Nadia avait pleuré : une fille est responsable de son violeur, elle ne peut pas le laisser partir seul à la dérive ; elle doit l'aider à contrôler sa folie. C'était peut-être pour ça qu'elle s'était mise en colère : moi qui n'avais été que spectatrice, je pouvais rire de la situation tandis qu'elle ne le devait pas.

J'avais demandé à Tata si c'est Jack l'éventreur, le croque-mitaine. Elle m'avait répondu que non. Le croque-mitaine est pire. Jack l'éventreur était un homme fou et un assassin tandis que le croque-mitaine est véritablement un monstre.

Moi, je connaissais pire qu'un petit garçon qui baisse la culotte des filles pour admirer leurs fesses : une maman qui baisse la culotte des petits enfants pour taper leurs fesses.

C'était mon avis à moi. Certains diront, au contraire, que l'acte du garçon est beaucoup plus grave parce que c'est sexuel ; tandis qu'une maman ne donne de fessée que pour corriger l'âme de l'enfant. C'est pareil que chez le docteur : on doit se déshabiller devant lui pour des besoins de santé, alors il faut mettre la pudeur entre parenthèses le temps de l'auscultation.

Ah ! Ouais ? Alors, que penser des parents qui disent en public :

« Tu veux une fessée devant tout le monde ? »

Et si, parmi tout le monde présent, il y a un petit garçon de quatre ans, qu'éprouve-t-il en voyant une fille recevoir une fessée déculottée devant lui ?

Il semble que les grandes personnes ne fassent pas grand cas de l'âme des enfants. Tout ce qu'elles veulent, c'est être obéies, avoir la paix, voir se passer les nerfs.

Comparativement aux enfants, les adultes sont des géants. Quand ils se mettent en colère, ils apparaissent tels des monstres dangereux et terrifiants. Peu importe la gravité des blessures qu'ils infligent, du moment qu'elles ne sont pas visibles de l'extérieur.

Heureusement qu'ils nous aiment !

Admettons, maintenant, qu'un monsieur fou viole un enfant ! A priori, cette hypothèse me paraissait absurde. En voyant les fesses de Nadia, le petit garçon s'était enfui, comme s'il avait découvert quelque chose de sacré. Pour un adulte, en revanche, le corps d'un enfant est aussi insignifiant que celui d'un animal. On imagine mal un monsieur baisser la culotte d'une petite fille pour admirer ses fesses et partir en courant. Admettons, cependant, que, par lâcheté, un violeur adulte préfère s'attaquer à un enfant plutôt qu'à une femme ! Ce serait vraiment terrible. Il aurait tous les traits monstrueux de l'adulte que j'ai décris, pas d'amour et une folie immense. On dirait un ogre.

Rien à faire ! Aussi fou puisse-t-on l'imaginer, aussi atroces puissent être ses actes, un violeur reste un homme de chair et d'os, pas un être surnaturel. Alors, ce croque-mitaine, qu'est-ce que c'est ?

Lorsque j'avais vu Nadia se faire baisser la culotte, toutes ces idées m'étaient venues furtivement à l'esprit, pêle-mêle. J'y avais réfléchi cinq minutes ; après, j'en avais eu marre. Je m'étais dit : on verra plus tard.

De temps en temps, j'y repensais. Il fallait que je découvrisse ce croque-mitaine avant que ce fût lui qui ne me trouvât car un enfant qui prétend atteindre la perfection représente une menace pour les monstres de cauchemar.

Au fil du temps, ma vision du problème devenait plus nette sans pour autant s'élargir. C'était comme un tableau dont j'eusse fait brièvement le croquis ; y revenant, j'épaississais les traits, j'ajoutais les couleurs mais jamais je ne voyais d'autres détails que ceux que j'avais posés au départ.

Je décrivis cette comparaison à ma maîtresse, sans nécessairement préciser à quel genre de problème je l'appliquais. Elle m'apprit que ça s'appelle une allégorie et me conseilla de scruter les ombres et les lumières. A priori, je ne savais pas comment mettre ce conseil en pratique mais sans doute le fis-je inconsciemment car je vis apparaître le visage d'un autre personnage dangereux en l'occurrence : celui de la femme prude.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEWhere stories live. Discover now