IX 25 - C'est parti

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Depuis quelques temps, les soirs de semaine, mon père mettait son pyjama, s'asseyait dans le lit de mes parents et attendait que je vinsse le rejoindre pour raconter l'histoire de la chèvre de monsieur Seguin avant d'aller me coucher. Même qu'une fois, au cours d'une de ces soirées, ma mère avait frappé à la porte de la chambre de mes parents en disant :

« Vous avez bientôt fini ? J'voudrais aller au lit, moi ! »

Ce soir-là, mon père lui avait demandé encore deux petites minutes parce que, lui et moi, nous avions encore des choses importantes à nous dire.

Puis, un soir, quand je vins m'asseoir sur le lit de mes parents, mon père m'annonça :

« L'histoire est terminée. On a besoin de savoir quel est ton parti politique.

- J'en ai pas, répondis-je en haussant les épaules.

- Il t'en faut un. C'est une force collective sur laquelle tu auras besoin de t'appuyer pour mener à bien ton projet. »

Embarrassée, je regardai mes mains :

« Droite ? Gauche ? Comment je peux savoir ?

- Non, ma petite cocotte. La droite et la gauche ne sont pas des partis en soi. Tout dépend de ce qu'on met dedans, de ce qu'ils portent. Ton parti, ce doit être le parti de la chèvre contre le loup ; considérant que le loup, c'est le directeur, la hiérarchie, la société des adultes... Cherche ce qui pourrait représenter, à tes yeux, une force collective, populaire, une force de l'enfance ou de la jeunesse, qui serait pour toi un soutien devant le loup. »

Une idée me vint à l'esprit mais ce n'était pas un parti politique, juste une fantaisie de mon cœur.

Mon père, comme à chacune de nos discussions, était assis à sa place, le dos appuyé sur son oreiller. Moi, j'étais tantôt à un bout du lit, tantôt à un autre ; assise en tailleur au milieu du lit, allongée au pied du lit ; à genou, sur la tête...

Je n'étais pas forcée de rester droite et attentive comme à l'école ou comme avec Monsieur le Directeur qui, les premières fois que je l'avais vu dans mes rêves, n'avait pas arrêté de râler parce que je dansais et tournais autour de lui pendant qu'il me parlait.

Mon papa, il ne me reprochait jamais rien. C'est comme la fois où j'avais rêvé qu'il était le roi Hérode. J'avais vu le peuple tout entier trembler devant lui. Alors, moi, pour montrer à tout le monde qu'il était le plus gentil et le plus patient de tous les papas et de tous les rois, j'avais dansé entre les pieds de son cheval et il ne m'avait pas grondée du tout.

« Non mais tu peux pas rester cinq minutes sans gigoter ? T'es pas un bébé, tout de même ! »

rouspéta soudainement mon père, stoppant net une de mes plus belles galipettes.

« Ben quoi ? Ça m'empêche pas d'écouter.

- Non mais moi, ça me gêne pour me concentrer sur ce que j'ai à te dire. Tiens-toi tranquille un petit peu ! »

Je poussai un soupir, m'assis le dos raide, les bras croisés.

Pour la peine, ça me donna envie de dire que mon parti politique, c'était... Mais non, quand même pas... Quoique !

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant