IX 22 - Or rageux

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Il cherchait à avoir la paix. Il essayait, par la ruse, de m'inciter à me coucher pour se jeter sur moi et me dévorer. Sa ruse, elle était grosse comme une maison ! Cela me parut vraiment flagrant quand il me sortit :

« Estime-toi heureuse d'avoir un travail !

- Ha ! Ha ! Ha ! Alors ça, c'est la meilleure de l'année !

- Argumente !

- Vous voulez me faire oublier que le travail, ça représente l'esclavage dont je dois sortir, tout comme vous représentez l'esclavagiste que je dois vaincre ? Ben ça, j'risque pas d'l'oublier parce que j'aime pas l'travail.

- Tu n'es vraiment pas intelligente. Est-ce que tu ne comprends donc pas que c'est un avenir que je te donne ?

- Ben justement : mon avenir, j'veux pas l'passer à travailler.

- Le travail, c'est de l'argent.

- Et le jeu, c'est de l'or.

- Tu dis n'importe quoi.

- Au fait, votre montre d'homme, elle est en argent ou en or blanc ?... C'est vrai, c'que j'dis.

- Argumente !

- C'que j'fais en jouant, c'est beaucoup plus beau, beaucoup plus grand, beaucoup plus vrai que si j'ai les bras enchaînés par le travail. »

Pendant ce temps-là, Monsieur le Directeur avait tourné la tête de l'autre côté, comme un adulte qui a décidé de ne pas répondre.

Alors, moi, j'en remis une couche.

« Pis d'abord, vous qui dites tout l'temps qu'y faut s'intéresser aux symboles ; eh ben, mon père, y m'a expliqué : la corde que monsieur Seguin met au cou de la chèvre pour la retenir dans l'enclos, ça symbolise l'argent qui retient au travail. Aussi, quand monsieur Seguin lui dit : "veux-tu que j'allonge ta corde ?", ça symbolise la prime, l'augmentation de salaire qui permet à la chèvre d'avoir une plus grande étendue d'herbe à brouter dans l'enclos. Moi, j'trouve pas qu'ce soit ça, la richesse. La vraie richesse, c'est les forêts, les prairies et les champs de fleurs sauvages que la chèvre découvre dans la montagne quand elle a cassé sa corde. Ça veut bien d... »

Monsieur le Directeur se retourna subitement et me saisit par l'épaule. Ses yeux étaient rouges. Il ouvrit grand la bouche et deux grandes dents pointues apparurent, sortant de sa mâchoire supérieure. Je n'avais jamais vu quelqu'un en colère à ce point-là !... Heureusement que je savais que Monsieur le Directeur avait bon cœur... et qu'il comptait sur moi pour jouer cartes sur table...

« Chuis empoisonnée ! Je suis empoisonnée ! »

m'écriai-je précipitamment.

Il redevint normal et lâcha mon épaule. Ouf ! je l'avais échappé belle... pour cette fois.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant