Cinquante-troisième Chapitre.

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[Samedi 4 mars. Après un long moment avec sa mère, Heaven a mangé en compagnie de ses amis, du roi et des associés de ce dernier. Conseil de guerre, leur réunion a résumé les stratégies et abouti à assigner à Heaven la tâche de tester l'efficacité de la protection d'Erédia.]

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Je me laisse tomber dans un fauteuil en lâchant un soupir, posant mon arme sur mes genoux. Acceptant la bouteille d'eau que Tyssia me tend, je bois en observant nos amis se battre dans l'herbe. Après le repas et une soi-disant marche digestive dans les jardins, le roi s'est retiré avec ses coopérateurs et nous a ordonné de nous entraîner une énième fois, non sans me glisser un mot sur ma prochaine épreuve face au dôme protecteur. Nous avons tous obéi, peut-être parce que nous ne savons plus rien faire d'autre que nous préparer à la guerre. Alors nous voilà, dans une autre des vérandas qui longent cette aile du château, entourés de fleurs, de fontaines et de colonnes brillantes, tourbillonnant dans un jardin coupé du monde comme si nous ne faisions rien d'autre que jouer au soleil.

Je regarde avec un sourire vague un Jake en grande difficulté face à une Cora bien plus aérienne que lui, et les autres qui s'entraînent, dans une atmosphère mêlée de légèreté et de tension. Dans l'herbe, les armes s'entrechoquent et la magie fuse, les respirations haletantes se croisent avec les cris d'encouragement. Stefen nous a rejoints il y a peu de temps, accompagnés d'autres guerriers qui ont pris part à l'exercice. Même ma mère s'est fondue au groupe et se réapproprie ses pouvoirs.

— Est-ce que tu aurais envie de retourner sur Terre ?

Je suis si surprise par cette question que je lâche un rire en me tournant vers Tyssia. Elle sourit timidement, ses yeux bruns toujours teintés de violet après notre combat.

— Je me demande toujours si tu préférerais être ailleurs, me confie-t-elle.

— Si je retournais sur Terre, je ne me sentirais plus chez moi, réponds-je simplement.

D'un geste de la main, je fais voler mon arme devant moi. Je me perds dans la contemplation de la lame qui tournoie au rythme de mes doigts, avant de pencher la tête vers Tyssia.

— Tu penses que j'ai besoin d'une pause ? raillé-je.

Elle ne sourit pas comme je l'aurais pensé. Lorsqu'elle glisse ses cheveux blonds derrière ses oreilles, j'aperçois l'arbre tatoué à son poignet. Elle observe le jardin animé par les combats, et je l'imite, m'étonnant de la boule de feu que ma mère vient d'envoyer à Zac. En apercevant soudain Isis, je me redresse sur ma chaise car elle n'était pas au repas. Elle est sûrement restée avec Thaniel tout le long. Sous l'ombre d'un saule pleureur, elle s'entraîne à tirer des flèches de plus en plus rapide avec son arc tout en en déviant les trajectoires avec son autre main. Je remarque la raideur dans ses mouvements, et surtout, la brutalité avec laquelle elle fait voler ses flèches, qui parfois frôlent son visage au point qu'elles pourraient traverser son cou. Je me souviens de notre discussion hier, du désespoir dans ses yeux, et de son rire sinistre quand elle a dit qu'elle espérait ne pas mourir. Je me souviens que personne n'est venue la chercher.

— J'ai peur pour elle, moi aussi.

Je lance un regard interloqué à Tyssia, dont les yeux se sont assombris.

— Je crois que pour elle, mourir serait un soulagement, et ça me fait très peur.

Je hausse les sourcils, parcourue d'un frémissement.

— Elle n'avait qu'Angie, poursuit la sorcière. Enfin, elle nous a nous aussi, mais... mais Angie, c'était plus que sa meilleure amie. C'était son âme-soeur. J'ai même cru à un moment qu'elle était amoureuse d'elle, sourit-elle tristement. Elles vivaient parce que l'autre vivait. Isis a enchaîné les familles d'accueil depuis toute petite, Angie était la seule constante dans sa vie. Et Thaniel aussi, et il a a failli mourir hier. Elle n'en peut plus. Elle n'a plus de force, et je crois qu'elle n'attend que la guerre pour abandonner.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant