Quarante-et-unième Chapitre.

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[Jeudi 2 Mars. Heaven, accompagnée du roi, vient de prononcer tout un discours face au peuple d'Erédia, leur révélant ainsi les détails du conflit et de son identité.]

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La foule reste immobile. Le temps est suspendu, la pièce résonne encore de mes derniers mots. J'abaisse les épaules, expirant doucement, la poitrine soudainement soulagée. Je sens, au fond de moi, que je suis insufflée d'une toute nouvelle flamme. Et dans le regard de tous ceux qui me fixent, je vois enfin ce que j'attendais. Pas forcément de la reconnaissance ou de la confiance, mais la conscience. La conscience de qui je suis, de ce qui se passe réellement à Érédia, de qui est notre ennemi. La conscience que ce conflit les dépasse et qu'ils ne peuvent m'éviter, qu'ils ne peuvent éviter leurs anciennes rancœurs, leurs erreurs.

Je n'ose pas regarder mes amis, ni le roi. Je ne veux pas affronter ce que je lirai dans leur regard, peu importe ce que ce sera. Je ne veux pas me rappeler qu'ils connaissent mes faiblesses, qu'ils savent que je suis terrifiée. Je veux simplement regarder le peuple que je promets de protéger, la tête haute, l'air assuré. Car l'équilibre est fragile, et si je me mets à redevenir l'humaine en moi, ils n'y croiront pas. Ils ne croiront jamais en moi.

Mes oreilles sifflent, me coupant un peu du silence de moins en moins supportable qui noie le château. Je sens tout mon corps se tendre, parcouru des pulsations de mon cœur et de ma magie. J'ai l'impression d'imploser.

Peu à peu, je vois l'assemblée mouver, et son bruit incertain s'élever de nouveau. Ma poitrine se soulève alors que je suis arrachée à la torpeur de l'attente, voyant enfin le peuple s'éveiller à mes mots et y répondre.

Je vois différents types de réactions, trop pour parvenir à me concentrer, à les comprendre. Je vois des visages figés par le choc, d'autres indignés, d'autres illuminés. Je vois des gens lever les bras, débattre, certains crient, d'autres appellent encore au calme.

— Donc on nous a caché ça ! s'exclame une femme à l'avant de la foule en levant la main. On nous a envoyé au combat sans nous prévenir de ça !

Beaucoup la soutiennent en criant et applaudissent. J'entrouvre les lèvres sans savoir quoi dire mais le roi s'avance et me devance, reprenant enfin sa place.

— Nous n'avions pas assez d'informations ! tonne-t-il avant de reprendre une voix plus calme. Heaven vous a résumé la situation, mais il s'agit d'une histoire qui s'étend sur de longs mois. Depuis la guerre, Heaven était morte, et nous ne savions pas si elle allait revenir parmi nous. Il nous était impossible d'établir un discours clair, qui ne vous aurait pas déstabilisé plus qu'aujourd'hui. La guerre a éclaté avant que Heaven elle même ne connaisse sa propre identité, et lorsqu'elle a tout compris, il était malheureusement trop tard. On vous a envoyés au combat sans tout savoir, je l'admets et je le regrette amèrement. Mais il n'a jamais été question de vous cacher volontairement des informations cruciales. Nous devions agir vite, en conséquence des actions de Jorah. Tout vous dévoiler en temps réel sans prendre réellement conscience de la situation aurait été bien trop irresponsable de notre part. Mais soyez assurés que vous n'avez pas combattu pour rien, et que Heaven a participé de la façon la plus acharnée possible. Le fait qu'elle ait agi dans l'ombre ou non n'a aucune importance. Les batailles auxquelles nous avons survécu et les pertes que nous avons subies ne tiennent ni Heaven Caldwell ni le conseil royal comme responsables, mais les Bannis et leur dirigeant tyrannique.

Il abaisse le menton, balayant d'un coup d'oeil tout son château, tout son peuple, plongé tout de suite dans une impressionnante paralysie. Je regarde le roi sans un mot, désemparée, le souffle coupé. Il a prononcé chaque mot avec une telle assurance que personne n'a rien trouvé à répondre. Rassurer, persuader, encourager. Je vois mieux ce qu'il voulait dire par là. À ce moment, je vois très clairement le Sylphe en lui. Il a conscience qu'il ne dit pas toute la vérité, mais il les convainc sans ciller. Il savait que son frère était en vie. Dès que je suis arrivée ici, il a su qui j'étais. Et il se doutait parfaitement du danger qui pouvait planer à cause de ces deux éléments. Mais il les a ignorés volontairement, et cela a permis à son frère d'oeuvrer en silence. Après seulement a-t-il pris conscience des enjeux et a-t-il agi en véritable souverain. Il a, un jour, été loyal à ce dirigeant tyrannique. Il a grandi avec. Son peuple sait-il seulement qu'il est son frère ?

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant