Soixante-douzième Chapitre.

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[Lundi 6 mars. Après être partie en patrouille, Heaven a suivi Isis sur les toits d'Erédia pour respirer. Menée par cette dernière au crématorium de la ville, elle a pu se recueillir à l'endroit où les cendres de ses amis Bannis Molly et Derek se sont envolées. Plus cathartique qu'elle ne l'attendait, ce moment l'a étrangement apaisée.]

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Ne ressentant pas le besoin de rappeler Isis, je me laisse déambuler lentement sur les toits d'Érédia, sachant bien que je finirai par devoir descendre. Alors je me force à me diriger vers le château, à parcourir prudemment ces quartiers inconnus. J'accepte le fait que ça ne servira à rien de courir vers l'horizon, que mon devoir ne disparaîtra pas si je ferme les yeux.

Je me perds dans des pensées étrangement calmes, et, lorsque je croise le roi, je ne le vois pas. Il me faut un instant avant de m'immobiliser et me retourner, juste pour m'assurer que ce n'était pas une hallucination.

Mais je le vois bel et bien. Tout en noir, ses cheveux masqués d'une capuche. Je ne sais même pas comment je le reconnais, mais je sais que c'est lui. À sa démarche, à la raideur de ce bras gauche que je sais être en verre. À la façon dont tout en lui crie qu'il veut passer inaperçu même s'il sait que son aura est inimitable.

Je l'observe quelques secondes sans bouger, et je le vois entrer dans une sorte de temple que j'ai aperçu de loin plus tôt, avec Isis. Comme une sorte de musée ou de bâtiment historique, ses colonnes et moulures rappellent l'endroit où les banquets se tiennent en ville. Mais en plissant un peu les yeux, on devine des sculptures et drapés à travers les vitraux sombres, donnant à l'endroit une allure bien plus solennelle.

Je n'essaie plus de me cacher. Je me laisse glisser jusqu'au bord du toit et prends un court élan. J'atterris au sol avec un bruit contrôlé, amortissant ma chute avec ma main. À l'instant où les lourdes portes en marbre se referment derrière le roi, je gravis les quelques marches extérieures pour les bloquer.

Le roi ne se rend pas tout de suite compte que je suis là. C'est quand les portes se referment dans mon dos et qu'un courant d'air balaie toute la pièce qu'il sent ma présence et se retourne. Sa capuche retombe sur ses épaules, ses yeux s'écarquillant dans une expression que je n'ai encore jamais vue sur son visage. Soudain, il me paraît particulièrement jeune.

Il ne dit rien. Aucun de nous ne bouge. Je m'entends avaler ma salive, me demandant soudain pourquoi j'ai décidé de le suivre. Dans cet endroit inconnu, seule face au roi, j'ai l'impression qu'aucun de nous n'est comme habituellement. C'est trop informel, trop personnel peut-être. Il n'est pas habillé comme un roi et je n'ai rien à faire à ses côtés ici.

Évitant son regard, je prends alors connaissance des lieux. Dans un immense vestibule, s'alternent colonnes et statues aux allures antiques. Le damier de marbre qui sert de sol me rappelle ces vieux temples romains qu'on voit parfois dans les livres d'Histoire, les figures mythologiques s'entremêlant sur ses façades.

- On dirait un autre monde, fais-je doucement.

L'écho de ma voix résonne dans la pièce, les drapés noirs assombrissant toute la pièce semblant se soulever délicatement.

- Il fût un temps où nous vénérions des dieux, nous aussi, répond le roi. Certaines régions de Nyplel continuent de le faire, mais à Érédia, la religion a fini par perdre son importance.

- Mais vous avez gardé ce temple.

- Il a été un des premiers bâtiments construits ici. Avant même qu'on nomme ce royaume.

Je baisse les yeux pour arrimer mon regard à celui du roi. Je ne peux empêcher mon cœur de s'emballer en imaginant les siècles d'Histoire qui nous entourent, ne peux m'empêcher d'être émerveillée face à la conservation de ces symboles.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant