Soixante-dix-septième Chapitre.

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[Aube du mercredi 8 mars. La guerre a commencé, et les premières défenses de la ville sont tombées. Après être restée dans les souterrains du château en attente de son signal, Heaven a observé Kaya, une fée trop jeune pour se battre, s'échapper et rejoindre le champ de bataille en se rendant invisible, n'utilisant pas de la poussière de fée mais son propre sang. Heaven l'a laissée partir, médusée, et est elle aussi partie au combat.]

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Je ne m'étais pas rendu compte de ça lors les batailles précédentes. Je n'avais pas vu le désespoir dans les yeux de chacun, les larmes refoulés et les grimaces de douleur. Je n'avais pas vu les yeux des tueurs se vider en même temps que ceux leur victime. Je n'avais pas vu à quel point tout le monde, en avançant sur le champ de bataille, avançait en piétinant son âme.

J'ai passé tant de temps à dissocier les Bannis des habitants d'Érédia, tant de temps à les déshumaniser pour rendre ma tâche plus simple. Mais à présent, ça ne vaut plus la peine.

Car je vois tout, et je ne peux plus l'ignorer. Je vois les Bannis retrouvant leurs proches, je les vois s'interposer face à leurs camarades. Je vois des soldats d'Érédia refouler leurs larmes en tranchant le corps de ceux qu'ils auraient aimé pouvoir épargner. Je vois des Bannis pleurer des cadavres d'Érédia, et des soldats pleurer les cadavres de Bannis. J'entends des sanglots, des excuses, des prières.

Je vois ce que je ne voulais pas voir. C'est une guerre civile. Une guerre au sein d'un même peuple. Il n'y a jamais eu de distinction. On s'entre-tue. On s'entre-tue depuis le début.

Je pensais que Jorah avait fait de chaque personne ici un monstre. Mais il n'a pas fait de monstres. Ici, nous sommes plus humains que jamais. Désespérés, terrifiés, irrationnels. N'agissant que par amour et par peur. Forcés de tuer nos semblables pour en protéger d'autres.

C'est ce qu'il voulait. La fin d'un monde. Le chaos. Il voulait tout réduire à néant. Régner sur une nouvelle ère. Il a détruit l'illusion de l'équilibre, a mis tout le monde face à sa pire nature.

Et une fois la guerre finie, nous nous tiendrons tous ici, sans distinction. Il n'y aura pas d'harmonie, pas qu'équilibre, pas de retour à la paix.

Il n'y aura que le terrible constat des bas-fonds de notre humanité.

Je frissonne, et mes épaules s'affaissent malgré moi. C'est un cauchemar. Personne ici n'a envie de se battre. Personne ne veut être ici. Ça n'a pas de sens. C'est l'aube, et le soleil brille déjà. Les enfants devraient encore dormir, ils sont au lieu de ça emprisonnés sous terre à prier pour le retour de leur parents. Ça n'a pas de sens.

Mais il y a bien longtemps que nous avons tous cessé de chercher du sens dans notre combat.

Car, comme tous les soldats forcés de servir leur cause au détriment de leur âme, je ne suis pas là pour me poser des questions. Je ne suis pas là pour penser, pour ressentir. Je ne suis pas là. Sur le champ de bataille, je ne suis pas.

Je me demandais toujours comment ils faisaient pour rester de marbre, pour ne pas exploser à la fin de la bataille, quand le sang de leurs victimes maculaient leurs mains. J'ai compris trop tard que c'était la routine qui les sauvait. Le fait qu'ils n'avaient pas à questionner leur métier, car au plus profond d'eux-même, ils s'étaient promis de se battre pour la cause la plus juste.

Que ma vie soit dure. Que je souffre, que je doute, aime et haïsse, gagne et perde, que tout ce que la vie peut apporter m'emplisse chaque jour.

Que ma mort soit brutale. Que je meure au combat. Que je meure quand je m'y attends le moins. Que je meure en honorant la vie.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 22 ⏰

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