Soixante-quinzième Chapitre

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[Nuit du mercredi 8 mars. Après de longs et intenses jours d'entraînement, Heaven et ses amis ont choisi de profiter de leurs derniers instants de calme dans une taverne avec de nombreux autres citoyens d'Erédia, ignorant la guerre imminente le temps d'une soirée.]

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Je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois que cette maison était aussi remplie. Le fait de longer le couloir et qu'il ne soit pas silencieux est presque étrange, à présent.

J'échange un sourire avec Tyssia alors qu'elle s'assied sur le canapé en compagnie des autres. Je ne me retourne plus, rejoignant l'escalier en piochant dans le paquet de chips que je viens de prendre dans la cuisine. Juste une pause, nous sommes-nous dit. Une pause, une douche. Juste pour nous éloigner du capharnaüm du bar, juste pour être entre nous. Pas longtemps. Quelques minutes, quelques heures. Essayons de ne pas entendre l'alarme. Ne regardons pas dehors. On est bien, ici, à la maison, entre amis. Peut-être qu'on aura le temps de regarder le soleil se lever.

J'arrive à ma chambre en baillant. La douche a clairement détendu mon corps et me tire un peu trop vers le sommeil. Je ne sais même pas pourquoi j'en ai pris une. Peut-être que je voulais être présentable face à la mort.

Je referme la porte derrière moi et m'y adosse lentement, soufflant comme si je retenais ma respiration depuis des heures. Ce n'est que quand je relève la tête que j'aperçois Jake, me regardant d'un air un peu pantois depuis mon bureau. Il a allumé ma lampe de chevet, baignant la pièce dans une lumière tamisée où se dessinent encore les silhouettes de la nuit.

— Qu'est-ce que tu fais là ? fais-je avec surprise.

Il hausse les épaules, semblant chercher quoi répondre. Il a pris une douche lui aussi, et de ses cheveux tombent quelques gouttelettes. Il repose les yeux sur mon bureau, où mon ordinateur trône près d'une pile de livres que je n'ai jamais ouverts.

— Je me demandais depuis combien de temps tu ne l'avais pas ouvert.

Je ne réprime pas un sourire amusé, grimaçant un peu en voyant l'appareil qui me paraît presque lointain.

— Je ne sais même pas si je sais encore m'en servir.

Je passe les yeux sur les livres immobiles, sur les étagères vides. Sur ma commode, je vois la fiole de Molly, scintillant silencieusement. Alors Zac ne l'a pas gardée, finalement. Je respire doucement par le nez, haussant les épaules à mon tour.

— Il y a plus de poussière dans ma chambre que dans la salle d'entraînement, commenté-je.

J'arrime mes yeux à ceux de Jake et il rit silencieusement, ne pouvant qu'acquiescer. Le silence entre nous est si pesant que l'alarme dehors est presque rassurante. J'ai l'impression d'étouffer, voulant autant briser l'espace entre nous que le garder à tout prix. Nous n'avons pas été seuls depuis que nous avons passé la nuit ensemble, à la pleine lune. À peine quelques jours sont passés mais c'est comme si c'était il y a une éternité. Je le regarde et je sens mes épaules s'affaisser peu à peu. Je sens mon sourire s'éteindre et mes lèvres trembler, mon corps se crisper parce que je me rends compte que je peux me blottir contre lui, et que j'en meurs d'envie. Je tente de prendre une inspiration mais mon souffle se bloque dans ma gorge.

Alors il brise l'espace, et je ne bouge pas lorsque ses bras s'enroulent autour de moi. Je me laisse tomber dans son étreinte, laisse sa chaleur m'envelopper comme elle le fait si bien. Je sens ses lèvres sur le haut de ma tête et j'agrippe ses épaules, pour m'assurer qu'il ne me lâchera pas. Nous ne disons pas un mot, car aucun de nous n'en a envie. J'ai un peu envie de pleurer, mais je ne laisserai pas les larmes couler. Je serre fermement les paupières et j'écoute l'alarme à l'extérieur, devenant de plus en plus lointaine dans mon crâne, jusqu'à ce qu'elle se fonde au battement du cœur de Jake, jusqu'à ce que je n'entende plus que lui. Je respire enfin, et cette fois, c'est son odeur qui emplit mes narines, remplaçant le métal et la sueur. Je ne me rends compte que maintenant, dans ses bras, à quel point mon corps est épuisé. Je savais que je serais faible dès qu'il me toucherait. Mais je ne veux pas m'en détacher. Je ne veux jamais quitter ses bras, jamais entendre autre chose que son cœur qui bat contre le mien.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant