Cinquante-septième Chapitre.

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[Samedi 4 mars. Après l'entrainement, Heaven a rendu visite à une Joyce toujours endormie et s'est livrée à elle. Puis, elle s'est promenée dans Érédia avec Tyssia, Kaleb et Isis, jusqu'à arriver sur un grand balcon surplombant une partie de la ville. En voyant Isis s'élancer sur les toits des bâtiments, elle a soudain eu envie de la suivre.]

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Je glisse. Je trébuche. Je tombe, me rattrape de justesse, puis je continue. Je m'érafle contre la pierre des cheminées, heurte mes genoux aux coins des tuiles des toits. Au loin, je vois Isis, et c'est comme si elle volait. Ses pas sont légers, assurés, fendant l'air sans hésitation. Je suis obligée de m'arrêter pour la regarder, tentant de l'imiter en vain. Je sens chaque nouveau bâtiment sous moi, chaque nouveau toit, nouvelle ardoise qui s'effrite et tuile encore ruisselante de pluie, la plante de mes pieds chauffées par leur raideur.

Mais plus j'avance, plus j'attrape de gouttières, plus je contourne de cheminées, plus je comprends. Et plus j'accélère.

— Isis ! crié-je, et j'espère que le vent emportera ma voix.

Et peut-être qu'il le fait, suivant mes ordres. Car elle m'entend, qu'importe la distance.

Quand elle se retourne vers moi, l'expression qu'elle affiche me serre le cœur. Car je crois ne jamais l'avoir vue sourire ainsi. Au loin, ses longs cheveux bruns pris dans le vent, elle me salue, son sourire s'élargissant lorsque je saute pour rejoindre une rangée de toits plats.

— Je me doutais que tu me suivrais, me répond-elle.

Et je ravale ma surprise lorsque sa voix ne me paraît pas lointaine, mais toute proche, comme un murmure contre mon oreille, aussitôt disparu. Je comprends soudain. L'air ne m'obéissait pas à moi, mais à elle. Je suis une créature de l'air, connectée à cet élément comme s'il emplissait mes veines, mais je n'ai jamais songé au lien qu'il entretenait avec ses elfes. J'ai inconsciemment pensé qu'ils ressentaient comme moi. Mais je n'ai jamais fait ça, chuchoté à l'air comme s'il était ma propre voix, comme s'il ne pouvait pas l'étouffer tant que je lui disais où la porter.

— Pourquoi ? fais-je, et je ne peux m'empêcher de crier.

Elle rit, se couvrant brièvement une oreille. Je prends de l'élan pour descendre sur des ardoises à environ un mètre sous moi, et elle me répond quand j'atterris en m'agrippant péniblement à un trou dans le toit.

— Parce que toi et moi avons la même définition de « prendre l'air ».

J'entends le sourire dans sa voix, et j'y réponds. Je me redresse et cours pour ne pas tomber en arrière, me rattrapant à une cheminée étroite. Je m'y adosse pour respirer, et regarde Isis. Elle s'est arrêtée au bord d'un toit en pierre, les bras croisés, une jambe levée au dessus du vide.

— Tu me nargues ? m'enquiers-je, et cette fois, je parle à voix basse, certaine qu'elle m'entendra.

Elle secoue la tête, plus légère que je n'ai jamais vue.

— Je te montre ce que tu peux faire si tu détends.

Je ris, lâchant ma prise sur la cheminée pour longer le toit en pente d'un grenier menant à un bâtiment en bois. Je ne vois plus Isis, mais je me demande si elle me voit, elle.

— Je ne suis pas comme toi, noté-je. Mon lien avec l'air est...

— Je sais. On ne le ressent pas pareil. Mais tu comprends. Tu le sens, toi aussi. Arrête de t'accrocher.

Je fronce les sourcils, et lâche la poutre qui ponctue le versant du toit.

— Je ne veux pas tomber.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant