Soixante-et-unième Chapitre.

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[Dimanche 5 mars. Heaven est enfin face au dôme du roi pour l'épreuve qui était prévue. Avant cela, elle a parlé avec Zac et lui a confié une fiole contenant son sang, ainsi qu'avec sa mère qui lui a avoué être parvenue à connecter son esprit au sien, suggérant qu'il y a peut-être un lien enfoui entre elles qu'elle doit tenter d'exploiter.]

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Je recommence. Encore et encore, j'avance et je me fais repousser, simplement pour m'habituer à la sensation. Simplement pour sentir la magie monter en moi, nourrie par le danger. Je sens la fureur me prendre dès que je rate, dès que je croise le regard imperturbable du roi. Et à chaque fois, j'approche un peu plus. J'ai un peu moins mal quand je tombe, un peu moins peur quand je vois le dôme changer de couleur, quand le vent m'échappe et me plaque au sol.

Je ne vois rien d'autre que mon objectif, ne sens rien d'autre que la chaleur qui s'anime dans mon ventre. Ma tête tourne et plus les minutes passent, plus je sens l'angoisse s'installer, car le danger peut frapper à tout moment. Je ne m'attendais pas à autant craindre une intrusion, à être aussi terrifiée d'être en dehors de ce que je prenais pour ma prison. Dans la prison, je pouvais prétendre que le monde extérieur n'existait pas. De ce côté, lâchée dans la nature, j'ai l'impression d'être observée, d'être une proie sans défense dans un territoire ennemi. J'ai l'impression d'être l'ennemie, dès que je vois le reflet de mon foyer.

Je prends une profonde inspiration, et cette fois, je ne fonce pas vers la barrière sans réfléchir. J'ai déjà gagné quelques centimètres. Je pourrais continuer, mais je ne veux pas m'épuiser. Je serre les poings et ferme les yeux, comme j'ai appris à le faire tant de fois. Je me souviens de la sensation quand j'ai affronté le dôme depuis l'intérieur, quand j'ai senti la nature craquer entre mes doigts, quand j'ai canalisé ma force pour la première fois sans peur. Quand j'ai compris combien ma cuirasse pouvait m'aider.

Je lève les bras et je sens mon sang bouillir, si habituée à la sensation qu'elle me rassure. Je souffle et l'air me répond, enveloppant mes membres avec douceur, soulevant mes cheveux, caressant ma nuque, s'immisçant doucement dans les écailles de mon armure.

Mon cœur s'emballe et la vague d'énergie monte enfin, automatiquement, si naturellement que je la sens à peine. Comme une respiration, la magie me répond et rejoint mon crâne en un instant.

Quand je rouvre les yeux, je suis couverte de lumière. Je souris.

La lumière réchauffe mes bras et rejoint mes mains quand je le lui ordonne, les flammes immaculées aveuglant les alentours. Je suis coupée du monde, plongée dans mon propre pouvoir, mise face à ma seule mission. Pour l'instant, c'est facile, c'est naturel. Je sens la magie affluer et refluer, courir dans mes veines, battre sous ma cuirasse, naissant de mon cœur sans s'épuiser. Je la sens m'envelopper de sa chaleur, de sa certitude. Je me sens prendre feu et je n'ai pas peur, n'ayant aucune douleur, aucun vertige. Je me laisse habiter par ce qui m'a pendant si longtemps effrayée, parce que je sais à présent que je ne risque rien. Je suis née pour supporter tout ce pouvoir, née pour déchirer l'atmosphère de ma puissance.

Je n'ai donc aucune crainte quand je dirige mes mains vers le dôme et que j'expire enfin. Quand je vois, comme hier, les flammes étendre mes bras devant moi. Je plante mes pieds dans le sol et je crispe mes muscles, je serre les dents et je garde les yeux rivés devant moi.

Je sens l'impact une seconde après. Violent, comme je l'attendais. Mes flammes heurtent la barrière et s'étendent dessus comme de l'eau sur une plaque de verre. Mais je vois bien que je n'ai pas atteint son cœur. Je ressens jusqu'ici les ondulations de l'air, les nombreuses strates des réelles étapes jusqu'à ce dôme si parfaitement exécuté. Le blanc immaculé né de mes mains diffuse l'ombre planant sur le dôme, ne faisant que dégager le brouillard assez longtemps pour que je voie le roi, devant toute la rangée de mes amis, me fixant avec attente dans un silence de plomb. Je grimace malgré moi, dégourdissant mes jambes quand la lumière s'atténue, redonnant à l'herbe son éclat vert, au dôme sa teinte brumeuse.

Différente - T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant