Chapitre 50

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Il ne pouvait pas le faire. C'était au-dessus de ses forces.

Goby renifla. Il ne pouvait même pas prononcer les mots dans sa tête.

Pitoyable.

Il avait entamé ce voyage déterminé à commencer une nouvelle vie et finissait la queue entre les jambes, anxieux de se cacher de cette Mère dont il n'avait jusqu'alors jamais considérée comme telle. Mais ici, dans les Highlands, où les herbes hautes frôlaient les genoux, ici où les montagnes verdoyantes se reflétaient sur le loch et la pureté de l'air lui rougissait les joues, il sentait sa présence dans chaque être vivant autour de lui. Tout son corps tremblait et il avait envie de mettre genou à terre pour demander grâce. Seule la peur d'être repoussé l'en empêchait.

Le doute qui le tenaillait se transforma en dégoût. On l'avait conditionné à obéir, à exécuter les ordres sans ciller. C'était la première fois qu'il changeait d'opinion et il se sentait perdu. S'il n'était pas un bon soldat, qui était-il ? Il se passa la main sur son crâne chauve et la retira tout de suite en regardant l'intérieur de sa paume mouillée de sueur.

Goby s'ébroua de ses pensées obscures. Il n'était plus temps de réfléchir. L'arme de poing du général Caster l'attendait sagement. S'il échouait, on l'enfermerait dans son aquarium qui, bien qu'il le considérât après tant d'années comme sa maison, n'était rien d'autre qu'une prison de laquelle il voulait fuir le plus loin possible. Se jeter dans la mer et disparaitre.

Une respiration heurtée plus tard et il amorçait la dernière descente vers le château d'Urquhart. La vallée était noyée sous le brouillard gris et épais. Aucune cime d'arbres ou de tourelle n'en émergeait, il s'étendait jusqu'aux montagnes de l'autre côté du loch Ness. Ena était douée.

Entrevoyant une lumière bleuté, Goby continua à avancer. Ses pieds nus et palmés foulèrent l'herbe humide. Il pouvait la voir maintenant, avec tous ses détails les plus fascinants. Ses pas ralentirent. À cette distance, sa combinaison était mouillée de sueur, sa lèvre bouffée par l'anxiété saignait.

Goby tendit son index déformé vers la barrière, voulant éprouver sa texture. Elle apparaissait comme une membrane délicate parcourue de nervures et de pulsations. On aurait dit un énorme cœur. Un cœur qui protégeait des milliers de rires, des centaines de vies. Une décharge le fit reculer. Le sentiment qu'Awilix n'éprouvait aucun sentiment à sa visite le faisait vaciller. Était-ce un piège ? La déesse jouait-elle un jeu macabre ? Mais lequel ? Et pourquoi ?

Ravalant les craintes qui l'étouffaient, Goby s'efforça de se ressaisir. La situation le troublait au plus haut point. Il bascula sur la pointe des pieds, son dos s'arrondit, sa bouche s'entrouvrit pour laisser échapper de drôles de bruits. Des bruits de succion, des bruits de griffes s'enfonçant dans la chair. D'un être qui remontait le long d'une gorge. 

Grâce à un crachat bien maitrisé, Goby expulsa le parasite qui s'était glissé sous sa langue avant de retomber lourdement en arrière. Il se sentait complément vidé. L'effort qu'il venait de faire l'avait épuisé. La sensation désagréable était toujours là mais la fin était proche, Goby s'accrochait à ce mince espoir de toutes ses forces.

Il releva les yeux et chercha du regard la chose qu'il avait créé, élevé puis enfin expulsé de son corps. Il n'eut aucun mal à le trouver. La couleur jaunâtre du parasite contrastait violemment contre le bleu protecteur. Les griffes de ses pattes antérieures s'étaient enfoncées profondément dans la barrière et commençaient à extraire du sang. Très vite, le parasite grossit. Et pendant qu'il grossissait et qu'il aspirait encore et encore la lumière bleuté s'amenuisait. 

Les éclairs déchirèrent l'espace entre eux pour essayer de se protéger de cet ennemi inconnu. Le parasite ne semblait pas le moins du monde affecté. Goby s'éloigna de plusieurs pas. Le son était si assourdissant que ses tympans lui causaient une douleur aigüe mais il fut incapable de tourner le dos à ce qu'il se passait sous ses yeux écarquillés. Là où les griffes s'implantaient, la membrane pourrissait. Assez rapidement, la pourriture noircit et finit par gagner les nervures principales qui devinrent sèches et sans vie.

Les éclaires redoublèrent d'intensité. Ils devinrent plus forts, se succédant à de courts intervalles. Ses paupières s'abaissèrent, il mit sa main devant ses yeux aveuglés. Au loin, Goby entendait des cloches sonner l'alarme.

Il sourit.

Un bruit de verre brisé se fit entendre, puis, enfin, la barrière explosa.

Et Goby avec.

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now