Chapitre 16

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— J'imagine que de toute manière, il ne m'est plus utile, soupira-t-elle. Je peux te poser une question ?

— Dois-je avoir peur ?

Elle fit une moue.

— C'est qu'on vient de me dire une chose assez perturbante, et étant donné qu'elle concerne ton grand-père... enfin, pas exactement mais si, quand même... et tu vois, j'espérais qu'avec tout ce qui s'est passé ces derniers jours, tu ne m'évitais pas comme on le dit et que.... Enfin, tu serais d'accord pour répondre à quelques petites questions. Je t'assure, dit-elle rapidement, je ne parlerai pas de ton kiki. Ou plutôt son absence, corrigea Moana. Ça ne me dérange pas, je ne... tu vois...

— Ce n'est pas ça...

— Et donc, interrompit la jeune femme, vu que tu as été élevé par Aonghas... Les lavandières, répondit-elle à sa question muette. Bref, vous deviez être très proche et, si je ne me trompe pas, tu es plus vieux que moi, tu as surement dû être le témoin silencieux de la rencontre entre ton grand-père et ma grand-mère.

— Je te l'ai déjà dit la dernière fois...

— Oui, je sais : « il y a des puzzles qui doivent se finir sans aide », récita-t-elle d'une voix neutre. Mais...

— C'est ici que nos chemins se séparent, annonça brusquement Emrys. Douce nuit.

Moana regarda autour d'elle. Ils se trouvaient dans la cour du château, devant la tour qui l'hébergeait. Et le laird se détournait déjà d'elle pour aller je-ne-sais-où. Elle devait le retenir coûte que coûte, elle en avait marre d'être ignorée ou traitée comme une pestiférée. Elle voulait rire avec quelqu'un pour alléger le poids des révélations faites. Et Moana pressentait que seul l'homme face à elle aurait le pouvoir de la consoler et de la guider. Aussi, à situation désespérée, mesures désespérées.

Le tabouret détruit percuta les dalles dans un bruit sourd, le son se répercuta sur les murs des bâtiments environnants. Moana avait eu l'idée d'imiter le placage des rugbymans pour l'empêcher de partir, mais son impulsivité se retourna contre elle. Son pied se prit dans le tas de bois et elle perdit l'équilibre, tombant à genoux sur la pierre. Ses paumes, rendues calleuses par le nettoyage du linge, s'égratignèrent sur les gravillons qui comblaient les espaces entre les dalles. Bien que la méthode soit différente, l'effet fut celui escompté. Le highlander se retourna surpris.

— Est-ce que ça va ?

Emrys l'aida à se relever avec douceur.

— Oui, merci.

— Tu es d'une maladresse parfois, murmura-t-il d'un timbre amusé.

Moana se racla la gorge, mal-à-l'aise face à l'étrange chaleur qui se répandait dans sa poitrine. Elle passa à plusieurs reprises sa main sur sa jupe pour y enlever quelques grains de poussière, et reprendre du poils de la bête. Cependant, elle y laissa des traces de sang, invisibles dans la nuit.

— Puisque tu es toujours là, est-ce que tu savais que Colette était une espionne ? Sa mission était de déterminer le niveau de dangerosité de ton clan bien qu'Isobel pense qu'il y a, —avait—, autre chose derrière.

Emrys se gratta le menton, embêté que la mère de Yain se soit mise à parler sans l'avoir préalablement averti. Il hésita à répondre, eut même l'idée saugrenue de fuir, mais son regard l'en dissuada. Il savait que Moana serait capable de fouiller tout Urquhart jusqu'à le dénicher enfin. Rien que penser à la course-poursuite qui s'en suivrait lui donnait mal à la tête.

— Oui, je le savais.

La jeune femme eut une exclamation étouffée.

— Il serait préférable qu'on aille dans mon bureau pour parler loin des oreilles indiscrètes.

Le bureau d'Emrys se situait seulement à quelques portes de sa chambre. La lumière dispensée par les chandelles vacilla dans la pénombre, projetant des ombres mouvantes sur le bureau surchargé de documents. Ils restèrent un moment face à face, se regardant fixement dans un silence tendu et oppressant. Partiellement plongé dans l'ombre, seuls l'arrête du nez et ses pommettes saillantes se dessinaient. Les flammes des chandelles faisaient briller ses yeux tels des cobalts. 

Ses genoux menaçaient de fléchir sous l'ardeur impétueuse de ses pupilles. Tout en lui évoquait une sexualité ténébreuse, et elle ne pouvait nier, dans le secret de ces murs, qu'il la fascinait. Mais les paroles d'Isobel s'étaient ancrées dans son esprit volatil, la perturbant davantage que la découverte de son attirance pour Emrys. Ce dernier rompit l'instant pour l'inviter à s'asseoir sur une chaise tandis qu'il s'appuyait contre le rebord de la table. Il lui tendit un mouchoir mouillé de scotch. 

—  Pour ta main, précisa-t-il. 

—  Merci, chuchota Moana. 

Elle se la désinfecta consciencieusement, évitant le regard du laird, grimaçant à peine sous la morsure de l'alcool.

— Tu as deviné juste, dit-il soudain, j'ai bien connu ta grand-mère mais mes souvenirs sont vagues. Toutefois, Aonghas m'a énormément parlé d'elle. Toute sa vie, il regretta les événements qui la poussèrent à fuir l'Ecosse, à faire une croix sur leur amour et à te cacher.

— Me cacher ? demanda Moana.

— Oui, te cacher. Vous cachez. 

— De qui ?

— De personnes qu'il vaut mieux éviter si on tient à la vie.

Moana fronça les sourcils. Emrys restait vague, ne voulant pas encore aborder l'origine de son sang et le danger qu'elle encourrait. 

— Lorsqu'il se rendit compte de son erreur, il voulut la rectifier mais Colette était une femme pleine de bon sens et mesurée. Elle savait avoir pris la décision correcte : leur amour était maudit, leurs peuples incompatibles. 

— Et ces lettres qu'ils s'envoyaient ? Je croyais qu'ils étaient restés en contact.

Il poussa un soupir. 

— Ils sont restés de longues années sans se parler, ce n'est que récemment qu'ils ont commencé leur échange épistolaire.

— Pourquoi ? essaya de comprendre la jeune femme. Qu'est-ce qui les a poussés à déterrer le passé ? Est-ce que c'est en rapport avec mon gouvernement ? Et les barrières qui protègent Urquhart, comment ça se fait que je puisse les traverser ?

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now