Chapitre 42

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Plus tard, alors que l'eau turquoise miroitait sous les premiers rayons du soleil et que les écossais transperçaient petit à petit la brume du sommeil ; Emrys s'effondrait sur les roches bordant la plage. Il appuya la tête contre la couverture moelleuse qui les recouvrait. Son visage était pâle et livide, contrastant avec son habituel teint cuivré. Il fixait le lac, l'esprit vide. Il ne bougeait pas et semblait ne rien sentir de ce qui l'entourait.

Il avait tellement mal à la tête... Il s'était gratté le cuir chevelu comme pour en arracher la racine. Sans succès. Puis il avait levé ses mains pour mieux les contempler. Elles étaient rouges, poisseuse d'un sang qui n'était pas le sien. Il vit sur ses doigts l'épaisse croûte de sang séché. Il baissa les yeux pour voir sur son tartan et sa chemise les mêmes traces brunes. 

Emrys repensa à ce qu'il avait fait avec une énorme boule dans la gorge. Ses mains étaient rouges d'un sang qui ne cessait de s'écouler. Il détendit ses muscles, fatigué par cet effort soudain. Ses bras retombèrent tels deux poids mort. Une immense fatigue l'accablait. La tête lui tournait. 

Des images défilaient devant ses yeux, l'étourdissant : images fugitives de poings cassant un nez et meurtrissant la chair. Des os qui se brisaient. La douleur dans ses yeux bleus.

Dans sa tête, des cris, des mots, des phrases et une haine. Violente et explosive. La sienne. Celle de Braïn. 

Pour la première fois depuis longtemps, les regrets le rongeaient. Il n'avait pensé qu'à lui dans cette histoire. Combien de personne le détestait pour les avoir enfermés dans un rôle qu'ils n'aimaient pas ? Pourquoi ce silence ? 

Il n'avait pas vraiment envisagé les conséquences de son acte, ni même pensé que cela pouvait avoir de graves répercussions sur d'autres personnes, convaincu que ses décisions étaient irrévocablement les plus sages à prendre après la Grande Guerre.

Les implications de la trahison de Brain étaient écrasantes. Par la crinière d'Aonghas ! Il n'était pas près d'oublier ce qu'il considérait une insulte à sa fierté de laird. Le goût de sa trahison avait entaché son objectivité, résultat : Braïn n'était plus de ce monde et sa mort ne passerait pas inaperçu pour un certain général.

Il soupira intérieurement lorsque l'eau à ses pieds se mit à faire des bulles comme si elle entrait en ébullition. Bien sûr qu'il devait apparaître, la disparition de Braïn avait dû lui parvenir peu après le crime accomplit. Mais à sa grande surprise ce n'est pas Egon qui surgit. 

Ses mains tressaillirent. 

Une silhouette sombre entouré d'un fin halo de lumière émergea peu à peu de l'eau. Le soleil révéla une peau visqueuse et froide qui, Emrys le savait pour en avoir été le témoin, brûlait sa victime tel de l'acide. Le souvenir de l'odeur âcre de la chair brulée lui retournait encore l'estomac. Néanmoins, il avait toujours aimé sa facilité à éliminer l'ennemi aussi rapidement.

— Sony... C'est un honneur et un plaisir de te revoir, salua Emrys, toujours avachi contre le rocher.

Sa tête s'inclina, une algue glissa de son crâne chauve pour retomber dans le lac. En une autre occasion, il aurait ri, mais l'éclat bizarre de ses yeux l'en dissuada.

— J'aurais préféré te revoir en d'autres circonstances, Mackintosh.

Le seigneur tentaculaire gravit les roches pour s'asseoir à ses côtés.

— Quelles circonstances ? demanda-t-il d'un air innocent.

— La guerre est à nos portes et personne ne sait ce qu'il va advenir de nous.

— Tu ne parais pas surpris...

Emrys regarda l'ami de son père du coin de l'œil. Il hésita. Il ne savait pas jusqu'où s'étendait la loyauté de Sony et ça le perturbait plus qu'il ne le souhaitait. Son père avait toujours eu recours à son plus vieil ami pour les questions importantes. Et il avait été d'un appui inconditionnel — un oncle — pour Emrys à la mort d'Aonghas. Mais voilà, il était ignorant de la véritable relation entre Aonghas et Colette... 

Néanmoins, il ne pouvait pas le mettre de côté en se basant sur ce simple fait. Une guerre était aux pieds de leur porte, ils devaient unir les seigneurs et faire front contre les Humains. Puis, la confiance se gagnait avec l'honnêteté. Il hésita, soupesant ce qu'il pouvait ou non révéler.

— J'ai tué Braïn.

Il se tourna légèrement vers le SAQUA plus âgé.

— Il nous vendait aux humains.

— Ah, j'avais cru comprendre qu'il prenait trop de liberté avec ta métisse, lança Sony du tac au tac.

Emrys tiqua. « Sa » métisse ? Sa possessivité ronronna à cette idée.

— Ce n'est pas le premier à le faire, continua-t-il. Je me souviens que pendant la Grande Guerre, nous avions nous aussi nos lots d'informateurs. Pourquoi cela te surprend-il autant ?

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais se ravisa l'instant d'après.

— Pour ma part ça ne me surprend guère.

Sony répondit au coup d'œil ahuri du highlander par un sourire d'excuse.

— Braïn était malheureux, frustré et en colère. Peut-être que c'était vraiment contre toi. Peut-être que tu étais juste au bon endroit au mauvais moment.

Il exhala un soupir d'indifférence.

— Tu es devenu ce dont il avait besoin.

— Et il est devenu ce dont j'avais besoin, comprit Emrys.

Ses paupières s'abaissèrent et il soumit son visage aux brûlures du soleil jusqu'à ce que tout devienne rouge derrière ses yeux clos.

— Ensuite, je me suis transformé en ce qu'il voulait que je sois, en ce qu'il voyait en moi.

Sa voix était lasse, une vague de remords assaillit Emrys.

— Son esprit s'est brisé. Il aurait dit n'importe quoi pour te pousser à bout, le réconforta Sony.

Un ricanement amer s'échappa de ses lèvres gercées par la chaleur.

— Il n'aurait jamais pu imaginer sa fin tragique.

— Les corps sans âme ont tendance à faire des conneries. Les personnes dépassées aussi.

— Je n'ai jamais vendu mon peuple, moi ! s'exclama Emrys, fou de rage de son insinuation.

— Non, toi, quand tu arrives à ton point de rupture, tu arraches des têtes.


Ce que cache un kilt doit rester secret !Donde viven las historias. Descúbrelo ahora