Chapitre 44

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Elle se trouvait dans l'ignorance totale, et cette situation la tuait à petit feu. On la gardait prisonnière et ignorante.  On refusait de l'aider ou de la protéger parce que cela voulait dire aller en contre du Conseil. Ils avaient pris la décision de la considérer comme une ennemie du Peuple, une indésirée et une enfant du péché. Même les animaux étaient mieux traités qu'elle ! Parce qu'eux, au moins, savaient obéir...

Ainsi soit-il ! Au fond d'elle, Moana comprenait parfaitement leur réaction, mais son orgueil blessé refusait d'accorder la moindre sympathie. Il était beaucoup plus facile de laisser la colère la dominer que de faire preuve de compassion.

Décidée, Moana arrêta de faire les cent pas et se dirigea à grandes enjambées vers les jardins. Elle devait trouver Egon pour lui demander la direction d'Urquhart. Il devait bien y avoir un moyen pour elle de quitter cet endroit. S'il le fallait, elle y retournerait à la nage. Elle ne supporterait pas de rester plus longtemps ici. 

Y-avait-il un réel risque de noyade ? Elle ne le pensait pas. Par miracle, où plutôt grâce à ses gènes, elle respirait sous l'eau. C'était l'essentiel. Une fois sortie des terres sacrées d'Awilix, elle nagerait vers le haut. 

Oui, vers le haut, c'était bien ça. 

Un bateau passerait par-là tôt ou tard et la ramasserait. Puis elle prendrait sa valise pour s'en aller sur le champ. Hors de question de voir Emrys ou Isobel pour la baratiner avec un autre discours sur la tolérance ou je ne sais quoi. Ou pas. Peut-être qu'elle monterait dans le premier avion pour retourner en France et écrire l'article qui la nominerait pour le Prix du Journalisme. Quoique, avec les informations qu'elle détenait, elle gagnerait à coup sûr le Pulitzer. Et mieux encore, il n'y aurait plus de secrets. 

Oui, voilà, son plan n'était pas parfait mais il ferait l'affaire.

Elle avisa enfin Egon en grande conversation. Sur son visage de la couleur de la neige était peinte une gravité inquiétante. Faisant appel à ses réflexes, Moana se cacha derrière un arbre aux branches épaisses et dont les feuilles roses et en forme de cœur étaient parcourues de filaments jaunes. Elle plissa les yeux pour distinguer la créature qui faisait face au serviteur d'Awilix. 

Moana faillit s'étrangler de surprise lorsqu'elle le reconnut. Si la beauté d'Egon aurait fait pâlir les anges, le SAQUA qui lui faisait face possédait une laideur choquante. C'était un mâle devina-t-elle après de longues secondes, d'une extrême laideur. Sa tête était aplatie comme si on la lui avait écrasée au marteau, tandis que sa bouche s'étirait en longueur, dépourvue de lèvres. Sa peau papuleuse était d'un vert blanchâtre et tombait en plis rugueux autour de son cou.

Elle l'avait déjà croisé constata Moana, il faisait partie du Conseil. Elle se souvenait de lui, elle l'avait brièvement aperçue sur la plage d'Urquhart. Ses yeux, deux billes noires profondément enfoncées dans les chairs, étaient remplis de haine et de jalousie.

Il était en grande discussion. Le SAQUA au nom inconnu parlait avec urgence, ses bras faisaient de grands mouvements, le poids de son corps passait d'une jambe à l'autre. Egon, quant à lui, était parfaitement immobile hormis sa main droite qu'il érigeait entre lui et son interlocuteur. Il essayait visiblement de le calmer, sans véritable succès.

Ils discutaient à voix basse, l'empêchant d'entendre ce qu'ils disaient. Moana grimaça de frustration. La jeune femme essaya de se rapprocher mais un brusque pincement de douleur l'arrêta. Le vent avait emmêlé ses cheveux à une branche. Elle tira dessus, ne réussissant qu'à s'arracher quelques mèches. Son cri de douleur attira l'attention des deux hommes. Egon parut surpris de la voir cachée derrière l'arbre.

— Que faites-vous ici ?

Elle réfléchit sur ce qu'elle allait répondre quand une ombre attira le regard anthracite de Moana. Un gigantesque serpent de mer se dirigeait droit vers elle, la bouche ouverte, les crocs fins et pointus comme aiguilles, prêt à la mordre. Son cœur loupa un battement. Moana recula mais ne put aller bien loin, ses cheveux emmêlés l'attachaient indéniablement à la mort. 

Elle tira plus fort encore, d'un coup sec et rapide. Hurlant de douleur, elle sentit son cuir chevelu se déchirer. Le choc lui coupa le souffle. Un voile noir tomba devant ses yeux. Quand l'obscurité se dissipa, il était trop tard. Le serpent planait au-dessus de son corps, allongé sur l'herbe tendre des jardins d'Awilix. Un filet de sang ruisselait de son crâne à son cou, glissant le long de son oreille jusqu'à son lobe pour tomber en gouttes éparses sur son pull. Un détail la fit sursauter : ses crocs étaient baignés de sang. Moana se demanda brièvement qui l'animal avait mordu.

— Mon enfant ?

Elle tenta de bouger mais en fut incapable. Une onde de souffrance balaya son corps, l'étourdissant. Elle voyait flou et se sentait peu à peu perdre pied.

— Ne vous inquiétez pas, tout va bien.

La caresse sur son visage et la douceur de la voix donnèrent à la scène une impression de déjà-vu. La jeune femme essaya de s'accrocher à ce sentiment familier mais son corps s'engourdissait tandis que ses pensées s'évadaient de son esprit.

— Dormez, à votre réveil, vous serez  guérie.

Elle perdit connaissance. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant