Chapitre 25

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Le couloir était plongé dans une pénombre inquiétante. Seul le fin rayon de lumière qui s'échappait de sous une simple porte en bois indiquait une présence humaine dans ce château soudain privé de vie.

Il y avait eu l'effroi puis la crainte. Une crainte qui paralysait leur corps, muscle après muscle. Suffocante, elle bloquait les voies respiratoires et rendait les paumes moites. La sueur se mit à perler sur leurs tempes et coula sous leurs aisselles, maculant leur chemise de taches circulaires.

Il y avait eu la négation puis la colère. Une colère froide, sourde, immense. Elle se déversa dans leurs veines comme de l'acide et les rendit agressifs, contestataires.

La missive du Conseil résonna comme un puissant canon de guerre au sein du clan. Ils l'acculèrent dans son bureau pour lui demander des explications, les poings sur les hanches, l'index accusateur. Plus rien n'avait de sens. Une humaine avait traversé les barrières d'Urquhart, —et pas n'importe laquelle —, et maintenant, leur laird perdait la tête et violait une des lois fondamentales des SAQUA. 

Que se passait-il ? Pourquoi agissait-il avec autant d'irresponsabilité ? La panique les gagnait tandis qu'ils énonçaient les faits à voix haute. Ils exigèrent des explications de suite. S'ils devaient risquer leur robe de canasson, autant savoir les raisons qui l'avaient menées à agir de la sorte. Pour que les Mackintosh s'unissent dans l'adversité, l'honnêteté était de mise.

Emrys avait cru que l'ambiance festive de ce début de printemps aurait empêché son clan de percevoir son sang. Mais il oublia, lorsqu'il se coupa pour sauver la vie de Moana, que son sang les appelait. Son ADN seigneurial attirait les kelpies comme le miel, les abeilles. Aussi, il ne leur fut pas difficile de trouver la stalle où Moana s'était cachée. Et les litres de sang qui la composait.

Emrys ne sut jamais comment il réussit à calmer la situation. Il ne se justifia pas puisqu'il n'y avait aucun argument justifiable. Ce qui a été fait ne peut être défait, alors pourquoi chercher plus loin ? Un instant, des bouches criaient ; le suivant, c'était à nouveau le silence. Il s'assit lourdement derrière son bureau, un verre de toddy en main.

Yain n'était pas venu lui lancer un « je te l'avais dit » bien mérité. Il devait supposer que cette missive était une punition suffisamment exemplaire pour le réveiller. Et il avait raison, il n'aurait pas supporter l'attitude méprisante de son ami. Pas ce soir. Pourtant, même avec une épée de Damoclès flottant au-dessus de lui, Emrys ne pouvait affirmer ce qui lui avait pris. 

Accepter la mort de Moana était tout simplement impossible. Une force l'empêchait de tourner le dos à la fille de Colette. La promesse faite à son grand-père ? Il n'en était pas sûr, après tout, il l'avait seulement obligé à accepter sa présence au château. Sa préoccupation à son encontre allait bien au-delà d'un simple devoir. Et c'est ainsi, perdu et isolé, que la vérité lui parvint.

Il aurait bien eu besoin d'un verre de whisky, voire de deux, puis il se souvint avec regret l'avoir fini un peu plus tôt. Il aurait pu demander à qu'on lui monte une bouteille des cuisines mais il hésita, le cordon à la main. S'énivrer pourrait mettre à mal la fragile confiance qu'il avait réussi à conserver de ses paires. Et puis, il aurait besoin de toute sa tête pour affronter le Conseil s'il voulait s'en sortir vivant.

Son regard tomba sur la missive de Sony. Regrettait-il ? Absolument pas. Emrys soupira lourdement, passa sa main sur son front ridés de soucis, sur ses paupières, sur ses lèvres plissées en une fine ligne ; puis la laissa retomber avec accablement. Qu'allait-il se passer à présent ? Qu'allait-il faire ? Jouer les braves ou courber l'échine ? S'enfuir ou affronter leur Mère ?

Ses doigts se mirent à caresser distraitement la mousse qui servait de support au petit mot de Sony. Qui aurait cru que cette succession de voyelles et de consonnes seraient à l'origine d'autant de sentiments contradictoires ? Emrys eut presque envie de rire.

On toqua discrètement à la porte de son bureau. IL ne répondit pas, voulant être seul pour se morfondre encore un peu puis, peut-être, jouir d'une idée lumineuse. Une tête blonde  entra tout de même, lui arrachant un profond grognement.

— J'ai entendu dire que ça c'était mal passé pour toi aujourd'hui, ça va ?

— Ton inquiétude est complètement déplacée. J'apprécie ton intérêt Moana, mais il est temps que tu ailles laver le linge, préparer à manger ou nettoyer le château, Nous allons accueillir des gens importants dans très peu de temps et il faut que tout soit parfait. Va retrouver Lorna ou Isobel, dit-il d'un mouvement de la main désinvolte.

Ses grands yeux gris le fixaient, l'incompréhension et la surprise au fond de ses pupilles, tandis qu'il déchargeait toute sa colère et sa frustration sur elle.

— J'apprécierai aussi que tu cesses tes petites enquêtes de femme stupide et ton attitude séductrice, ne put-il s'empêcher d'ajouter.

— Séductrice ?

Sa main, appuyée contre la chaise située face au bureau, se serra convulsivement. Elle sentit les larmes s'accumuler derrière ses paupières closes. Après la délicieuse journée passée avec Braïn, jamais elle n'aurait pensé être attaquée de cette façon par Emrys. Préoccupée par les rumeurs qui circulaient, elle n'avait pas rechigné lorsqu'Isobel l'avait mandatée vers Emrys. Elle avait cru bien faire, elle se trompait lourdement.

— Oui, séductrice, siffla Emrys d'un ton amer.

— De quel droit me parles-tu ainsi ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

Moana ne put refréner la vivacité de sa question.

— Tu n'aurais jamais du traversé la Manche, dit-il avec cruauté. Maintenant, va-t'en s'il te plait. J'ai du travail qui m'attend.

Il reprit la contemplation de la missive, ignorant la jeune femme. Elle fut tentée d'insister, mais son attitude renfermée l'en dissuada. Moanadécida d'en rester là pour l'instant, refluant la vague de déception et cachantson âme blessée.

— Si tu as besoin de moi, appelle-moi. Bonne soirée.

La main sur son épaule musclée, Moana jeta un œil à l'objet qui accaparait toute son attention et causait cette tension électrique dans son corps. Pour la première fois, elle se demanda si elle avait eu raison de venir à Urquhart. Une boule à la gorge, elle eut du mal à dormir cette nuit-là. Son sommeil fut agité, une phrase revenant continuellement la hanter.

« Deux marées. Au loch, les huit attendront. Amène ton péché. ».

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now