Chapitre 19

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Emrys fonça derrière elle. Ou tout du moins, il essaya. Avec plus ou moins de succès. Se battant contre la conspiration inespérée en ce jour où on fêtait son retour à la vie sociale.  

Un corps se colla à lui alors qu'il traversait à grandes enjambées la pièce. Griselda s'interposa sur son chemin pour l'inviter à danser. Puis, ce fut au tour des autres jeunes femmes de quémander son attention. Le laird se trouva rapidement au centre d'une foule compacte tel un lapin prit au piège d'une muraille de ronces. Il réussit à avancer jusqu'à la porte à coup de coudes et de longs regards sévères, son aura étant le remède le plus efficace contre les opportuns. 

Alors qu'il inspirait enfin l'air nocturne et que les battants se refermèrent dans son dos, emprisonnant la musique et les rires gras, une main s'abattit sur son épaule. Emrys ne se surprit pas. Il l'avait entendu marcher à sa suite, sentit le poids de sa colère chauffer sa nuque.

— N'y vas pas. Ne te mêle pas à ça.

Son timbre de voix avait perdu sa chaleur habituelle.

— Il est trop tard Yain, Aonghas m'a lié à elle, lui rappela-t-il.

— Peut-être qu'en priant à l'autel sacré pendant cent jours et cent nuits, notre Mère te délivrera de cette promesse.

— Crois-tu qu'on me laissera tout ce temps ? Ça serait un miracle si j'arrive à y entrer avant qu'ils ne débarquent. 

— Ai au moins le décence de faire semblant de te préoccuper de ton sort ! Les promesses peuvent être rompues, il suffit simplement de connaitre le moyen d'y parvenir. C'est toi qui m'as appris cela, te souviens-tu ?

— Et si je n'ai pas envie de m'en défaire ? lança-t-il.

Yain fit un petit bruit de la langue, après quoi il prit un ton plein de mépris pour déclarer :

— Je crois que tu n'as pas très bien saisie la gravité de la situation bràthair. Tu as devant toi la possibilité de te défaire d'une personne inutile et encombrante. Te t'enlever une épine du pied. Fais-le ! Pourquoi vouloir s'enticher à supporter cet inconfort ? 

Emrys se retourna pour faire face à son ami, choqué par ses dernières paroles.

— Depuis quand les Mackintosh jettent les personnes comme si elles étaient des ordures ? Combien de SAQUA avons-nous recueilli et aider à se rétablir pendant la guerre ?

— Ce n'est pas une des nôtres ! s'exclama-t-il la rage au ventre. Nous ne sommes plus un centre d'hébergement et de réinsertion sociale.

Yain s'approcha de lui. Il lui arrivait à hauteur de nez mais dans ses yeux dansaient des flammes empoisonnées.

— Ni pour les SAQUA, ni pour les Humains. Surtout pas pour les Humains...

Emrys posa la main à la base de son cou, attirant son visage vers le haut. Il pouvait sentir l'haleine alcoolisée de Yain mélangée à celle du tabac et à la sueur, des odeurs qui ne le quittaient plus depuis quelques jours. Retenant un haut le cœur, Emrys s'attacha à voir au-delà de son apparence d'ivrogne.

— Bon sang Yain, reprend tes esprits ! lui dit-il en le secouant légèrement. 

D'un geste du poignet, le jeune homme blond prit ses distances.

— Si tu es incapable de rester loin d'elle, si tu persistes à mettre en danger le clan ; je ferais tout ce que je jugerai nécessaire pour nous préserver de ton inconscience.

— Je dois être auprès d'elle Yain, fut tout ce qu'Emrys réussit à dire avant de lui tourner le dos.

Sans plus réfléchir, Emrys suivit son instinct. Exceptés la présence d'une dizaine de chevaux, il n'y avait personne dans les écuries. Or, c'était l'endroit idéal pour tout rendez-vous clandestin. Bientôt, le guerrier comprit la raison. Un hennissement sonore le guida jusqu'à la stalle vide du fond. Une femme était allongée sur la paille. Son corps s'arquait dans de douloureuses postures, les vertèbres de son cou craquèrent en un bruit sinistre. L'horreur et l'incompréhension avaient raidi tous ses muscles. Les gouttes de transpiration glissaient de ses tempes pour se mélanger aux larmes qui lui brûlaient les yeux. Ils étaient grands ouverts, fixant le plafond de l'écurie comme s'il contenait la réponse à ce cauchemar. Mais il savait qu'elle ne voyait rien. Et qu'aucun répit, aucune solution ne lui serait apportée. 

Autour d'elle, une flaque d'un bleu azur ne cessait de croître. Ses cheveux avaient perdu leur blondeur, son visage était pâle comme la mort. Sa peau était devenue si fine que les veines transparaissaient, gonflées par le sang du Kelpie. Les lèvres entrouvertes, Moana était incapable de faire autre chose que cracher le liquide visqueux, putride et odorant qui sortait de son corps. Sa respiration était entrecoupée et son cri plaintif.

L'odeur lui souleva le cœur mais Emrys s'efforça d'avancer vers la femme qui gisait au sol à cause de lui. Si pathétique, faible et vulnérable qu'il aurait pu la tuer d'un simple soupir. Emrys s'accroupit à ses côtés, trempant ses genoux dans ce vomi étrange. Il la tourna vers la droite pour qu'elle ne s'étrangle pas. Il tapota son dos à plusieurs reprises. Son crachat salit son genou. Le mal dont elle souffrait paraissait n'avoir de fin.

Les paroles de Yain lui revirent en mémoire, celles échangées aujourd'hui mais aussi celles d'avant. Il laissa son doigt courir sur le sommet de ses pommettes. Il dessina l'arrête de son nez. La pulpe de son doigt se mouilla de la substance inconnue lorsqu'il suivit le chemin de ses lèvres à ce cou gracile et féminin. Sa main se posa doucement à cet endroit tandis que Moana continuait de régurgiter, de convulser, de s'agiter sous ses yeux... Le visage impassible, Emrys serra son larynx. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant