Chapitre 14

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La deuxième fois, la jeune femme s'était fait prendre les mains dans le sac. Après cette offense publique, Moana revint chaque jour au lavoir dans l'espoir de découvrir où Isobel vivait. Sous le conseil d'Emrys, elle avait tenté de s'intégrer, allant même jusqu'à délaisser ses jeans au profit de longues jupes s'arrêtant à la cheville, un corset et un jupon. Lorsque le temps se faisait venteux, Moana mettait une écharpe de tartan sur l'épaule, fixée par une broche reprenant le symbole des Mackintosh : un cheval dansant sur des vagues.

En parlant d'eux, elle n'avait plus vu les kelpies depuis son premier jour. Elle rentrait morte de fatigue et s'endormait tout de suite après avoir mangé la collation apportée par Lorna. Puisqu'elle avait décidé de ne plus descendre prendre son repas dans la grande salle, pas tant qu'elle ne s'était pas suffisamment intégrée. Alors Moana restait enfermer dans sa chambre et ne sortait qu'au petit matin. Si au début elle ne s'était posée aucune question sur ce sommeil profond dans lequel elle tombait toutes les nuits, elle vint rapidement à trouver cela étrange...

Le point positif de traîner avec les lavandières, c'était de récolter les dernières nouvelles qui secouaient le clan MacKintosh. Et aussi surprenant que cela puisse être, il y avait toujours des potins à raconter. Ainsi, Moana apprit qu'Emrys ne quittait ses bureaux que pour galoper dans les Highlands. Si les raisons de son enfermement restaient claires pour Moana ; pour les écossais, sa présence était la responsable de cet éloignement entre le peuple et le laird. Ce qui n'était pas pour arranger sa quête de vérité.

Malgré ses efforts, les bouches restaient obstinément fermées. Et Moana se renfrognait de jour en jour. Seule Lorna lui adressait la parole. Pourtant, si au début elle avait eu des problèmes pour accomplir sa besogne, Moana prit finalement le 'truc'. Et bientôt, les moqueries cessèrent. Ainsi donc, en attente de trouver la solution qui lui ferait gagner leur confiance, Moana se mit à chercher d'elle-même les réponses à ses questions.

Tard dans la journée, alors que les autres retournaient chez elles, Moana décida de suivre Isobel. Elle souhaitait lui parler en privé, sans que la mère de Yain ne sente le besoin de se cacher derrière un masque. Ce qui arriverait sûrement si elles parlaient devant les lavandières. Alors elle la suivit de loin, à travers les marchands qui déménageaient leurs étales et ceux qui quittaient le château. Quelques guerriers froncèrent les sourcils en la voyant flâner à une heure où on était pressé de profiter de sa famille et se reposer. Elle leur servit son sourire le plus angélique avant de presser le pas, anxieuse à l'idée de perdre Isobel.

Rapidement, Moana arriva devant une hutte en pierre qui s'étirait tout en longueur. Sous la toiture en chaume, des petites fenêtres étaient recouvertes de volets en bois. Suivant son instinct, toqua à trois reprises. Personne ne répondit. Moana jeta un regard en droite puis à gauche, à gauche puis à droite, avant de pénétrer dans la demeure d'Isobel. L'intérieur se composait d'une seule pièce à vivre. Un rideau marron séparait ce qu'elle supposa être la chambre du reste de la maison. Le seul signe de vie était les ombres qui dansaient dans un rythme effréné au cœur de l'âtre.

— Alors c'est toi qui me suivais.

La voix fit sursauter Moana. Elle se retourna et vit une silhouette apparaître derrière la porte en bois, une silhouette courbée par le poids du temps. La jeune femme perdit de sa superbe. Elle qui s'était crue discrète avait été dupée depuis le début. Au revoir l'intérim chez les Totally Spies ! Moana comptait sur l'effet de surprise pour arracher quelques informations utiles, tant pis....  

— Si vous saviez que j'étais là, pourquoi ne pas me l'avoir fait savoir ?

Elle aurait voulu que sa voix tremble moins, montrer une certaine arrogance même, comme pour dire : « Je suis là parce que toi et moi devons parler. Je ne tolérerai pas un refus ». Mais la vérité était qu'Isobel respirait un autorité maternelle qui l'empêchait d'être insolente.

— Parce que tant que tu auras des questions, tu resteras bloquée, assura-t-elle.

Isobel remua les bûches à l'aide d'un tisonnier avant d'y installer un petit chaudron en cuivre. Puis elle ouvrit une boite métallique d'où elle sortit des feuilles dentelées à la pointe rougie qu'elle roula entre ses mains. Ensuite, elle les jeta à l'eau et attendit que cette dernière se mette à bouillir.

— Bloquée ? C'est de la mort de ma mamie Colette dont vous parlez ? Je l'ai acceptée. Bien sûr, sa présence me manque mais c'est dans l'ordre naturel des choses. Ces dernières années, elle éprouvait des difficultés à accomplir les taches quotidiennes les plus simples. Seul son esprit restait jeune.

Elle tut que ce dernier lui jouait parfois des tours. Quatre mois avant sa mort, on lui diagnostiqua un Alzheimer au stade 3. Pour Moana, les dires du médecin lui apportèrent le soulagement de pouvoir enfin nommer les symptômes de Colette.

— Non, sa mort n'était pas naturelle. Elle aurait dû vivre plus longtemps, des siècles même.... Si seulement mon peuple n'avait pas cristallisé ses préjugés en elle, peut-être qu'elle serait toujours en vie.

— Co-comment ça ? 

Isobel remplit deux verres en bois de thé. Moana allongea la main pour en prendre sa tasse mais la vieille femme secoua la tête. Elle s'assit son rocking-chair et désigna un petit tabouret à ses côtés. Avec un soupir, la française s'y assit.

— Avant de te raconter la romance d'Aonghas et Colette, je dois te parler de l'existence d'un autre monde. Un monde aquatique qui se cache des Humains lambdas pour que le chaos n'éclate à nouveau. Un monde qui supporte qu'on exploite et abîme son territoire au profit de quelques endroits isolés où lécher ses blessures. On nous appelle les SAQUA.

A cette appellation, Moana sursauta. Son thé se dérama sur ses genoux, brûlant son épiderme.

— Merde !

— Petite idiote...se mettre dans un tel état alors que je n'ai pas encore commencé. 

Moana entrouvrit les lèvres pour répliquer mais un morceau de tissu atterrit sur son visage.

— Tiens, nettoie ta jupe avec ce chiffon.

La jeune femme l'accepta avec gratitude.

— Pardon, c'est ce terme, « SAQUA », qui m'a surprise.

— Pourquoi ?

— Quand j'étais petite, Colette me racontait des histoires terribles sur les Surnaturels Aquatiques.

Face au froncement de sourcils d'Isobel, Moana s'expliqua.

— Il était question de batailles sanglantes et de romances interdites. Des histoires où tout n'était ni blanc ni noir, plutôt d'une palette chromatique de gris... Est-ce qu'elles étaient vraies ? osa-t-elle demander. 

— Alors elle a su trouver le pardon dans son cœur, marmonna Isobel d'un ton si bas que Moana douta qu'elle s'adressait à elle. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant