Chapitre 33

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Il se tenait assis sur son fauteuil en cuir, les jambes écartées, son visage posé sur ses poings. Son kilt était légèrement remonté, laissant apparaître des cuisses musclées et bronzées.

Le feu s'anima. Des flammes orange crépitaient et s'élevaient dans l'âtre. La tête tournée vers la cheminée Emrys ne souriait pas. Son visage était extrêmement calme et sombre, à moins que ce ne soit l'impression qu'il donnait parce qu'il se découpait sur le fond de flammes. Le feu dansa sur ses traits aristocratiques, ses hautes pommettes, la ligne dure de sa mâchoire et la cicatrice qui courait sur sa joue. 

Ses traits étaient marqués par un froncement de sourcils devenu chronique, son imperméable flegme n'étant plus qu'un lointain souvenir. Son visage reflétait l'agitation de ses pensées. Il passa ses mains dans ses cheveux noirs et défit sa tresse au passage, les laissant retomber dans son dos.

Devant lui, Yain contemplait le quotidien des habitants d'Urquhart, assit sur l'appui fenêtre. Les bras croisés sur son torse sculptural, il refusait de croiser le regard de quiconque. Que ce soit celui d'Emrys ou du souverain pontife présent. Yain se contenta de manifester à leur égard une politesse glacée. Le laird avait fait appel à son second puisque c'était une affaire qui concernait le futur du clan mais l'ambiance était tendue entre eux. Avant l'arrivée d'Egon, ils n'avaient pas partagé un seul mot. 

Leur divergence concernant Moana avait creusé un fossé entre eux, Emrys espérait seulement qu'il ne soit pas insurmontable. Il devait jouir de la voir actuellement dans un état si déplorable, Griselda et Lorna ne cessaient d'en parler. Emrys refusait d'écouter les « on dit », mais ils parvenaient quand même jusqu'à lui. 

Emrys jeta un coup d'œil à Yain. Il n'avait pas bougé depuis le début, il était resté muet tout au long de la réunion, refusant de partager ses pensées. Ils devaient parler, pourtant, Emrys avait peur de perdre définitivement son ami en ayant cette conversation en attente.

— Être un chef c'est prendre des décisions difficiles, savoir affronter des conflits, des crises... Tu as fait le bon choix, Emrys.

Emrys resta silencieux avant de dire enfin :

— Tout laird fait le nécessaire pour assurer la survie du clan.

— Qui essayes-tu de convaincre ? intervint pour la première fois Yain.

Un silence épais, engluant, s'installa entre les trois. Le feu continuait à crépiter dans le foyer de la cheminée, Emrys déplaça inutilement les bûches et une nouvelle vague de chaleur se répandit dans la salle. Avec un sourire forcé, il lui fit face.

Tu le sais mieux que moi bràthair (l'utilisation de l'appellatif affectif fit frémir Yain), tu as toujours su lire en moi. Ça m'a longtemps énervé, j'ai été complètement aveugle à l'intérêt que tu portais à Elowen avant de vous surprendre toi et ma sœur derrière cette grange lors des festivités de printemps. (Sa voix était lointaine). Puis nous sommes partis en guerre, et c'est entouré de sang et de mort que nous que nous sommes devenus frères d'armes.

Emrys cogna deux fois son poing contre sa poitrine, à l'emplacement de son cœur.

— Alors je vais te poser une question, à laquelle j'espère que tu répondras sincèrement, au nom de ce lien qui nous unit. Seras-tu capable de...

— Ça n'a plus de sens, tu ne sais même pas si....

— Réponds ! 

— La promesse ne devrait pas t'affecter autant, il y a plus.

Haud yer wheesht*

— Je ne comprends pas, tu...

— Je suis en train de perdre patience...

— Dites-lui vous, c'est insensé ! s'exclama Yain, son bras balayant le bureau pour montrer la forme assise devant la cheminée.

— Pourquoi me demandes-tu ça ? sourit Egon avec gentillesse. Alors que tu sais pertinemment que je n'ai pas le droit d'interagir.

Pour dissimuler son embarras, Yain se tourna à nouveau vers la fenêtre. Il se sentait en équilibre précaire. Il avait le sentiment d'être dans une situation qui risquait de basculer de manière dramatique. Il fallait faire un choix.

Le silence qui suivit fut oppressant. L'atmosphère avait insensiblement changé et on sentait que chaque mot comptait désormais.

— Nous avons combattu la Grande Guerre ensemble et nous avons survécu, nous avons affrontés la mort d'Elowen et nous avons survécu.... J'ai survécu, murmura pour lui-même le highlander blond. Ce n'est qu'une nouvelle bataille, différente à celles que nous avons connu.

Doucement, il posa sa main cailleuse sur l'épaule d'Emrys.

Peu importe ce qu'elle était. Maintenant, elle fait partie des nôtres. Je ne laisserai pas une femme nous séparer bràthair. Alors si un jour je revois Moana, je verrais au-delà de nos différences.

Yain lui donna une tape sur le dos.

— Tu es un bon laird, et c'est un honneur d'être à ton service.

Emrys hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Il était ému, il l'avait enfin retrouvé. Il s'éclaircit la gorge pour tenter de dissimuler. 

— Puisque la décision est prise, il est l'heure pour moi de rentrer, intervint Egon. Merci de votre confiance seigneur Mackintosh. Que la Lune soit avec vous...

— Et que sa lumière bénisse nos sabots, terminèrent-ils en chœur.

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*  "Haud yer wheesht" est une expression écossaise synonyme de "ferme ta gueule". 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now