Chapitre 13

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Après ce petit accident, Moana ne rencontra le laird qu'à de rares occasions, le plus souvent le soir. Il prenait ses distances, elle l'avait tout de suite compris. En découvrant son secret, la jeune femme s'était immiscée d'un peu trop près dans sa bulle intime. Et cela, il ne le supportait pas. Pas cet homme bourru et renfermé, habitué à être obéi sans qu'on ne lui pose de questions. La perte de sa sœur et le comportement de sa mère traduisaient une tension sous-jacente, une blessure pas encore cicatrisée. 

Emrys avait uniquement parlé du choc et de la douleur de Yain, pourtant, la sienne devait être tout aussi grande. Moana se doutait bien qu'il avait gardé ses émotions pour lui afin de n'inquiéter personne. Elle l'avait perçu dans sa manière d'observer son clan pendant les repas. Il se régalait de voir ses gens profiter d'une bonne bière fraîche après une long journée de labeur. Rire, parler, se relaxer... Sacrifier son bonheur aux services des autres, c'est cela qui le rendait heureux.

Son kilt était pour lui une carapace dont il s'affublait pour se protéger du monde extérieur. Et elle, elle avait regardé en-dessous sans une once de remord. D'accord, ce n'était pas fait exprès, et son intimité été cachée par une poche de chair — un peu comme les grenouilles ou les hippocampes de mer— ; mais son acte avait eu un impact symbolique inespéré. Elle lui avait rappelé, d'une manière assez particulière, son statut de mortel. Et cela, il n'appréciait pas du tout.

Soulever son kilt fut le déclencheur d'un constat qui risquait de le chambouler. Qu'il soit prêt ou pas, Emrys allait devoir faire face à des émotions longtemps réprimées. Des émotions humaines qui promettaient des rencontres explosives entre les deux. Enfin, si le highlander aux longs cheveux noirs ne se terrait pas dans son bureau comme un lapin apeuré. Depuis l'épisode de la plage, il y a de cela presque une semaine, elle ne l'avait aperçu qu'à trois reprises. 

La première fois, les lavandières la conduisaient au lavoir situé en contrebas d'une source. C'était un bassin alimenté d'eau pure, recouvert d'un toit à façades aveugles et troué en son centre pour pouvoir recueillir l'eau de pluie tout en les protégeant du vent. Encore plus bas, dans la prairie qui s'étendait autour du château, un abreuvoir régulait le débit d'eau. Les lavandières frottaient le linge sale sur une pierre basse inclinée vers l'eau. Une fois lavé, on l'égouttait sur des barres en bois placés au-dessus du bassin puis on le plaçait sur les bancs de pierre adossés aux murs intérieurs qui servaient d'étagère. 

Alors qu'elles n'étaient que cinq lorsqu'elles quittèrent le château, Moana se retrouva soudain submergée par un raz-de-marée féminin. Elle se sentit encerclée, piégée. Le lavoir se remplit rapidement, la jeune française comprit qu'il s'agissait-là un des rares moments où elles pouvaient toutes se réunir et discuter loin des oreilles de Lorna, qui, même si elle n'affectionnait pas son fils, restait la gouvernante d'Urquhart. 

À sa tête, une quinquagénaire blonde au regard charbonneux la dévisageait sans scrupules. Un regard dénué d'expression qui la déstabilisait au plus haut point. Que voulait-elle exactement ? Silencieuse, elle la contemplait tel un entomologiste devant un insecte cloué sur une planche en bois.  

Au fils des minutes, exclue des conversations, l'activité de nettoyage se fit physiquement plus difficile. À force d'être agenouillée sur la pierre, son dos et ses genoux souffraient atrocement. Vint le moment où garder les mains dans l'eau fraîche lui provoqua un effet diurétique. Elle demanda d'une petite voix où se trouvait le cabinet d'aisance mais on l'ignora. Elle répéta sa question plus fort puisqu'on faisait la sourde oreille. La doyenne des lavandières pointa la prairie du doigt, un ricanement parcourut l'assistance. Moana la remercia. Si elle devait pisser dehors ainsi soit-il, elle n'allait pas chipoter sur l'hygiène alors que le besoin se faisait si pressant.

Cependant, en sortant du trio d'arbres qui la cachait, la jeune femme tomba nez à nez avec un cheval à la robe crémeuse et aux pattes marquées de taches blanches. Sur ce dernier, un cavalier la regardait éberluer.

— Que faisiez-vous ? C'est dangereux, le précipice n'est qu'à un mètre de vous ! s'exclama Emrys.

— Arrêtez avec le vouvoiement, je croyais qu'on avait dépassé ça.

Le souvenir cuisant de son humiliation à la plage lui revint. Il détourna le regard le visage et resserra ses poings sur la bride du cheval.

— J'urinais, expliqua-t-elle. L'eau froide entraîne une augmentation de la sécrétion urinaire...

— J'ai compris, coupa-t-il. Mais pourquoi ne pas utiliser les toilettes ?

— Les toilettes ? s'écria Moana. Comment ça les toilettes ?!

Des échos parvinrent jusqu'à eux, les lavandières s'esclaffaient à gorge déployée. L'expression de Moana se décomposa. Emrys soupira. D'un geste de la main de l'aînée, elles se remirent au travail mais on pouvait toujours voir leurs épaules secoués d'un rire.

— C'est la mère de Yain.

— Qui ?

— Celle qui t'as joué ce tour.

— Elle ne me regarde pas comme son fils, il n'y a pas de haine ni de répulsion dans ses iris. Il n'y a rien. C'est étrange, je m'attendais à plus de virulence connaissant son fils.

— Yain a hérité de l'impulsivité de son père, Isobel est beaucoup plus sage. N'ais pas peur de lui demander de l'aide, elle était une grande amie de Colette.

— J'ai l'impression que beaucoup de monde la connaissait mais peu sont prêts à me parler d'elle.

— As-tu essayé ?

— De ?

— Communiquer avec mon clan.

— Ils semblent tous être de l'avis de Yain. Ils me détestent pour avoir porté la robe d'Elowen... et peut-être pour d'autres choses aussi. Des choses dont je ne suis pas encore au courant.

— Ils attendent que tu fasses tes preuves.

— J'ai cuisiné, j'ai lessivé ! J'ai essayé de leur parler mais elles m'ignorent ou m'humilient sans cesse. Leur bizutage n'a pas de fin.

— Tu parles et nous regardes comme si nous étions fous ! gueula soudain Emrys. On m'a reporté que tu faisais les choses à ta manière sans considération aucune pour nos coutumes !

— Je devrais donc me plier à vos us et ignorer mes origines ?!

— Non, oui ! Je ne sais pas. Adapte-toi à nous, prouves que tu es digne de confiance et on t'acceptera. Si tu es comme ta mèr... grand-mère, ne t'inquiète pas, les choses finiront par s'arranger.

Sur ces derniers mots, Emrys partit au galop. Et Moana retourna au lavoir. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant