Chapitre 51

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Son bureau était plongé dans la pénombre. Les habituelles flammes qui crépitaient dans la cheminée s'étaient tues depuis bien longtemps. Les illusions passagères avaient disparu, les murs étaient vides de figures grossies et mouvantes.

Des voix résonnaient dans le lointain comme un chant funèbre. Emrys ne comprenait pas ce qu'elles disaient mais leur chant lui hérissait les poils de la nuque. Ces voix ne ressemblaient à rien aux cris joyeux du quotidien, pourtant elles lui paraissaient familières. C'était son clan qui appelait à l'aide.

Emrys ferma les yeux, tentant de calmer la bête qui hurlait le prénom de son âme-sœur dans son crâne. Il s'enfonça un peu plus dans son fauteuil pour s'empêcher de courir auprès d'elle. Avec Sony, ils avaient envisagé chaque possibilité de ce combat mais la peur le tenaillait alors qu'il sentait dans chacun de ses os la présence de Moana au château.

Il entendit les sabots contre le sol en pierre avant même d'apercevoir la crinière orangée de Yain. La porte en bois claqua contre le mur, le tirant de ses pensées. La robe de Yain était sale et couverte de sang. Sa respiration agitée. Pas besoin de voir son visage pour lire les émotions qui se disputaient en lui. La colère qu'il éprouvait envers lui-même pour avoir fait peu cas de son sens du devoir et l'indignation que lui inspirait Emrys pour avoir piétiné son honneur mijotaient en lui.

– Les Humains ont réussi à entrer. Ils ont fait exploser la barrière.

Un léger mouvement de tête fut sa seule réponse.

– Un des nôtres, informa Yain, les dents serrées. Un Vivaneau.

Emrys tiqua. Les Vivaneaux habitaient dans les abysses, loin d'Urquhart, très loin de la civilisation, qu'elle soit humaine ou surnaturelle. Leur rancœur pour ce qu'ils considéraient être une malédiction jetée par Awilix les avaient poussés à se cacher dans le froid et l'obscurité. Leur tendance à vouloir être oubliés avait réussi. Le Conseil ne les incluait pas dans leur manigance, et en échange, ils restaient loin des yeux. Certains disaient qu'ils fuyaient leur laideur, mais il n'y avait pas un endroit sur terre qui pouvait dissimuler celle de Tallule. 

Alors comment se faisait-il qu'un Vivaneau ait aidé les Humains ? Le laird des sentinelles sentait la situation lui échapper. Il devait absolument renseigner le Conseil sur cette découverte qui pouvait leur être fatale.

– Combien sont-ils ?

– Six humains. Pour l'instant. Je sens aussi une septième aura, similaire à la nôtre, sans arriver à la définir complétement.

Ses mots restèrent suspendus dans l'air comme l'enseigne d'une boutique balancée par un vent de mauvais augure.

– Quelqu'un de chez nous. Encore un traître.

Ses mâchoires étaient crispées. Emrys irradiait colère par tous les pores de sa peau. Yain hésita puis continua :

– J'ai vu le général Richard Caster. C'est lui qui dirige l'attaque. (Yain s'avança vers Emrys). Il vient surement pour Moana, il a dû découvrir leur lien de parenté.

– J'aurai dû terminer avec lui il y a longtemps, regretta le highlander aux yeux d'azur.

Son ami d'enfance eut soudain terriblement peur. Depuis la Grande Guerre, le meurtre n'avait jamais été le premier choix d'Emrys. Ils étaient des protecteurs avant d'être des tueurs. Emrys s'était souillé par les meurtres des membres de son clan, dès lors, son âme perdit de sa lumière.

De nouveaux cris se firent entendre, humains cette fois-ci.

– Qu'est-ce qui se passe ?

Yain s'approcha de la fenêtre il ne put rien voir. Ses sabots crottés laissèrent des traces de boue sur les dalles de pierre. Emrys grimaça intérieurement.

– C'est à cause de ton père ?

– Non.

– Bien. Ses erreurs sont les siennes, Emrys. Ce n'est pas à toi de réparer quoi que ce soit.

– Si ce n'est moi, qui ? Moana ? ragea Emrys. Elle attire les emmerdes à une vitesse pas croyables mais au fond, tu sais comme moi qu'elle est innocente.

A ce mot, le rouquin émit un petit bruit dubitatif. Avant qu'il ne puisse réagir, le nom du laird résonna dans le couloir tel un coup de tonnerre. Emrys agrippa son épée et bondit sur ses pieds. La minute qui suivit, une Moana échevelée courrait vers les deux hommes figés de stupeur. Ils restèrent un moment immobile à se regarder sans rien dire. Emrys sentit ses genoux trembler et faillit s'effondrer à la vue de la jeune femme. Son ami d'enfance le sauva du moment embarrassant qui aurait suivi un discours enflammé.

– Que fais-vous ici ? dit Yain, le regard noir. Nous sommes en guerre ! Nos ennemis sont entre nos murs ! Vous croyez pouvoir faire ce que bon vous semble uniquement parce qu'Egon et Emrys vous protègent ? Vous allez faire demi-tour sur-le-champ !

Moana le repoussa avec mépris. Dès semaines s'étaient écoulés et pourtant, ni Yain ni Moana n'arrivaient à trouver un terrain d'entente. Emrys les regarda avec un air las, son optimisme quand à un futur serein s'envolait petit à petit. Mais peut-être fallait-il seulement trouver un but commun pour enterrer leur discorde ?

La jeune française contourna Yain pour continuer sa course vers le guerrier qui se tenait à l'écart. Elle tenta de se rapprocher de lui mais Emrys recula. Ses yeux la fixait avec une persistance qui lui noua le ventre.

– Vous êtes en colère, observa Emrys d'un ton détaché, comme s'il parlait de la pluie et du beau temps.

– Je pensais que c'était terminé, dit-elle. Tu m'as promis que ça terminerait lorsque je me transformerais. Je me suis transformée.

– Elle insista sur le dernier mot, lui rappelant toute les promesses qu'il y lui avait faite lors de leurs longues conversations.

– Rien n'a changé. Je veux toujours vous mettre en sécurité mais le temps sur cette terre est écoulé.

Son vouvoiement l'irritait au plus haut au point. La distance qu'il imposait entre eux blessait Moana. Pourquoi tant de formalités ? N'allait-il pas le dire combien elle lui avait manqué ses dernières semaines ?

– Je pars ce soir, très loin. Et très longtemps.

Moana prit une grande inspiration.

– Je sais que les tensions politiques ont besoin d'espace et de temps pour s'apaiser. C'est une bonne décision.

S'il partait sans elle, c'est qu'il ne l'aimait pas. Cette question la travaillait tant qu'elle la lui posa avant qu'il ne puisse continuer avec ses bonnes intentions. Elle renifla bruyamment, les yeux embués de larmes. Il n'y avait aucune raison de pleurer. Sa bonne volonté, ses bonnes intentions et sa bonne conduite n'avaient fait que les distancier.

– Et avec qui pars-tu ?

Il semblait parfaitement à l'aise alors qu'une violente colère s'emparait d'elle.

– Tu le sais.

Malgré l'expression impassible de son visage, un feu animal brûlait dans ses iris indigo. Il aurait très bien pu la toucher, songea-t-elle, alors que sa peau était parcourue de petits picotements et une onde de chaleur lui colora les joues. La jeune femme ouvrit la bouche pour parler mais aucun son n'en sortit. Elle le dévisagea une seconde et, subitement, avala le mètre qui les séparait. Empoignant ses épaules musclées, elle embrassa Emrys avec fougue. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now