Chapitre 18

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                La troisième fois qu'ils se rencontrèrent, Emrys et Moana sortaient respectivement de leur bureau et chambre. Leurs regards se croisèrent, c'était inévitable. Elle entrouvrit les lèvres comme si elle allait lui murmurer de douces paroles aux creux de son oreille. Des paroles aussi dangereuses, aussi tentatrices que le chant des sirènes. Et il ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde, surtout avec les risques qu'elle représentait.

Pendant un bref instant, le highlander donna l'impression qu'il était sur le point de sourire. Puis, Emrys eut l'air de se rappeler qui elle était. Il détourna la tête, comme si il ne s'était rien passé la nuit dernière. Néanmoins il l'attendit pour descendre les escaliers, et cela réchauffa la poitrine de la jeune femme. Ils marchèrent en silence jusqu'au réfectoire. Un petit moment, côte à côte, sans se toucher mais assez proche pour sentir la chaleur l'un de l'autre.

Moana se fit petite pendant le repas, les Mackintosh fêtaient le retour de leur laird comme si ce dernier était parti guerroyer on-ne-sait-où. Étaient-ils tous si proches les uns des autres qu'une Ils burent autant que leur estomac leur permit, tant est si bien que trois heures plus tard, ils furent incapables de rejoindre leur demeure, dormant à même le sol de la grande salle. Aux joyeuses conversations s'ajoutèrent un bal improvisé. Les tables furent poussées contre les murs, les écossais se lancèrent dans une gigue familière. Bientôt, il fut impossible pour Moana de finir son repas. Griselda, la seconde d'Isobel au lavoir, fut la première à se lever avec son amoureux du moment. Par la suite, la piste de danse se remplie rapidement et les danseurs, dans une synchronisation parfaite, se mirent à taper du pied à la mode écossaise.

— Vous froncez les sourcils, quelque chose ne va pas ? Les danses ne vous plaisent pas, conclut Emrys.

Il s'était penché vers elle afin qu'elle puisse l'entendre. Il était assez proche pour qu'elle distingue la longueur affriolante de ses cils et l'irrégularité de la cicatrice qui s'étendait du coin externe de l'œil au bord de la lèvre supérieure. Comment l'avait-il reçu ? Qui la lui avait faite ?

— Je... non ce n'est pas ça... pourquoi me vouvoies-tu ?

Sa voix était pâteuse, il n'y prêta pas attention. Il savait que les boissons écossaises étaient trop fortes pour les étrangers.

— Parce que nous sommes en public et qu'à partir de maintenant, il est préférable pour vous qu'on ne devine pas notre...

— Amitié, finit Moana en voyant sa difficulté à finir la phrase.

— C'est cela.

— Je suis curieuse, pourquoi un tel revirement ?

— Je me suis aperçue que les tensions s'étaient accrues depuis que l'identité de votre mère circule au château.

— Ah.

Sa voix était soudainement devenue sèche et cassante. Emrys se surprit à guetter un signe de tristesse profonde ou d'abattement. Mais rien ne s'affichait sur son joli minois exceptée la fatigue de la journée. Son regard s'était perdu au loin. Cela étonna Emrys, Moana n'était pas le genre de femme à se renfermer sur elle-même, surtout lorsqu'elle avait l'occasion de s'amuser un peu. Il ne comprenait pas, on ne lui avait rapporté aucun accident au lavoir.

En observant de plus près, le laird aperçut son regard terreux. Ses yeux voyagèrent jusqu'à la bouillie de mouton à moitié entamée. Il inspira profondément, et comme dans sa chambre, une légère odeur de lavande percuta son fragile odorat. Emrys aurait pu passer à côté, surchargé par les odeurs dans la salle à manger, s'il n'avait constaté le comportement inhabituellement calme de Moana. Son regard éteint lui donna des frissons. Aucune trace de l'exubérance à laquelle il été habituée...

Il devait régler cette affaire au plus vite, la droguer était mal, elle faisait presque partie du clan. Il se demanda depuis quand on lui administrait le somnifère à si forte dose. Quelque chose en lui se souleva à cette idée. Il balaya le réfectoire jusqu'à tomber sur Lorna. Elle ne le quittait pas des yeux, un petit sourire aux lèvres, une bière dans la main. A ses côtés, Yain gardait une expression neutre. Emrys serra la mâchoire à en faire grincer les molaires. Il ne comprenait plus rien, ne l'appréciait-elle pas ? A quoi jouait-elle ? Moana la considérait comme une amie, quelle serait sa réaction en apprenant ce que l'intendante avait fait ? Elle avait cru trouver en Lorna ce que seules deux personnes endeuillées pouvaient rechercher. Elle serait dévastée. Et lui, vendrait-il sa propre mère à une étrangère ?

Emrys délaissa ses pensées incommodes pour se concentrer sur la désintoxication de la jeune femme. Tout à coup, guidé par l'impulsion du moment, Emrys prit son poignard et s'entailla le poignet. Une longue estafilade verticale, suffisamment profonde pour que le sang coule mais pas assez pour que la cicatrisation ne prenne plus que quelques secondes. Il devait faire vite. Même si son clan était trop énivré pour sentir l'hémoglobine dans l'air, Yain et Lorna l'avaient vue, il en était sûr, et les conséquences de son acte —interdit par la loi— ne sauraient tarder...

Alors il mélangea ses globules bleus à l'alcool avant de tendre le tout à Moana.

— Tenez ma douce.

— J'en ai déjà une, dit-elle en montrant du doigt son gobelet.

— Celle-ci est meilleure, ne voyez-vous pas qu'elle a été servie dans une carafe différente ? C'est par ce qu'elle est réservée seulement à ceux qui s'asseyent à ma table.

— La serveuse... elle ne m'a pas servi la même c'est ça ? Encore un manque de respect, et vous l'avez laisser faire Emrys...

— Buvez, répéta-t-il en ignorant sa pique.

Moana but jusqu'à la dernière goutte, elle ne remarqua pas que le breuvage n'avait plus sa couleur ambrée d'origine ni que le goût était légèrement plus sucré. Son estomac gronda, des nausées la saisirent. La pièce tournait et lorsqu'elle bougea la tête, les murs s'inclinèrent vers elle. Moana eut l'impression d'étouffer. Se levant d'un bond, elle sortit en courant de la salle à manger. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now