Chapitre 1

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Les heures s'écoulaient tels des grains de sable sur une main ouverte. Installée aussi confortablement qu'on puisse l'être entre un soufflet de forge et une femme dont la bouche dessinait perpétuellement une moue amère ; Moana désespérait d'arriver. Ce vol était un cauchemar. Ses tympans menaçaient d'exploser d'un instant à l'autre. L'horrible douleur logée dans ses oreilles depuis le décollage refusait de la quitter malgré ses nombreuses manœuvres. Résultat ? Le vol était ponctué par les œillades assassines de sa voisine, qui n'appréciait apparemment pas ses joues d'hamsters.

Lassée par cette attitude et sachant que son action était d'une puérilité sans fond, Moana souffla bruyamment l'air retenu. Elle obtint l'effet escompté. A ce bruit, la femme à ses côtés tourna violemment la tête vers la fenêtre, d'une manière si hautaine et méprisable, que Moana ne put retenir une grimace moqueuse. Peu après, ses oreilles se débouchèrent en un « pop » désagréable lorsque l'avion entama sa descente.

Elle stressait. Ses mains étaient moites et son coeur tambourinait dans sa poitrine. La jeune française était sur le point d'entrer dans un pays étranger pour rencontrer un homme dont elle avait appris l'existence samedi dernier. Mais c'était le prix à payer afin de mieux connaître cette grand-mère qu'elle avait tant aimée.

Soulagée que son calvaire prenne fin, Moana sentit les larmes monter derrière ses paupières closes. Cependant, il ne fallait pas chanter victoire trop tôt. Lorsque le pilote cambra l'avion pour réduire la pente de sa trajectoire, l'imposant dormeur à sa gauche tomba sur elle, écrasant son petit corps sous son poids. Loin de se réveiller, les ronflements se firent plus forts si cela était possible. 

Telle une naufragée, Moana essaya d'appeler à l'aide, mais la femme à ses côtés fit la sourde oreille, continuant de décharger son fiel entre ses dents serrées. Ses yeux cherchèrent au-dessus des fauteuils. Ils ricochèrent sur l'hôtesse, adorable dans son ensemble bleu, dont le regard se fit ouvertement moquer face à la situation. Malgré tout, chargée de veiller au confort et à la sécurité des passagers, elle mima le geste à ne pas oublier à cet instant précis. S'attacher. D'un sourire crispé, Moana obéit alors que l'avion atterrissait enfin à Inverness.


« Mesdames, Messieurs, avec dix minutes et trente-sept secondes de retard, je vous souhaite la bienvenue en Ecosse. Pays où le soleil règne au-dessus des nuages sur les Highlands. Nous vous prions de rester assis et attachés jusqu'à la fin du signal lumineux. Afin de ne pas hériter de coquards, prenez garde à éviter la chute d'objets lors de l'ouverture des casiers à bagage. 

Les appareils électroniques doivent rester éteints jusqu'à l'arrêt complet de l'avion. Pas la peine de vous cacher entre deux sièges, je suis grande et vous vois. Assurez-vous de n'oubliez aucun effet personnel comme sacs, vestes, belle-mère ou mari. Merci mais j'ai les deux et j'ai donné ! Nous prions aux fumeurs de bien vouloir attendre d'être dans un espace réservé avant d'allumer deux cigarettes : une pour vous et l'autre pour moi. Je suis là depuis cinq heures du matin et je n'en peux plus ! 

Faites attention en descendant de l'avion. Merci d'avoir choisi notre compagnie, nous espérons vous revoir prochainement à bord ».


Lorsque l'avion s'arrêta, une agitation fébrile s'empara des passagers. Dans un vacarme assourdissant, les voyageurs se levèrent pour prendre leur bagage à main. Moana ne pouvait que contempler cette cohue se pousser pour sortir, toujours coincée par l'encombrant ronfleur. Mais les coups de coudes derrière elle —qui lui promettaient de magnifiques contusions le lendemain— lui firent comprendre qu'il était temps de partir. Inspirant profondément, Moana leva le genou pour poser son pied sur la cuisse masculine. 

Puis se fut au tour de son bras gauche et de son torse de s'échapper. Sa main droite s'appuya contre le dossier du fauteuil, et grâce à une poussée qui résumait toutes ses heures passées à faire de la musculation devant Esprits Criminels —mais surtout sous le regard scrutateur du docteur Spencer Reid—, Moana s'extirpa de son siège. Délaissant le beau au bois dormant et la vieille sorcière derrière elle, la jeune femme sortit enfin de l'aéroport.

Le vent glacé de l'Ecosse balaya ses cheveux contre son visage, elle les repoussa en arrière, puis héla un taxi. Le souvenir du notaire assis derrière son bureau, sa calvitie brillant sous la lumière artificielle, ses petites lunettes rondes sagement postées sur son nez busqué, lui revint. 

Jamais elle n'aurait cru que sa grand-mère puisse être aussi fourbe dans la mort. Ses lèvres se pincèrent, creusant les plis de sa peau. C'était du chantage pur et dur ! Mais après tout, on ne changeait pas ce qui marchait. Et Moana pouvait pester autant qu'elle le voulait contre mamie Colette, elle ne pouvait s'empêcher d'être fière d'avoir une telle renarde dans sa famille.

Laissant sa valise au soin du chauffeur, Moana s'engouffra dans l'habitacle réchauffé.

— Au château d'Urquhart !

Le chauffeur se retourna, bras adossé sur le repose tête, pour la contempler les sourcils froncés. L'air peint sur son visage n'avait rien d'avenant.

— ...s'il vous plaît ? ajouta-t-elle d'une petite voix.

— Vous voulez aller à Urquhart ?

— Oui, c'est exact.

— Que va faire une demoiselle de votre genre dans un endroit pareil ? Vous ferez mieux de rester à Inverness.

La brutalité de l'homme étonna Moana. Qu'importe où il l'emmenait tant qu'elle payait, non ?

— Je dois rencontrer le laird des MacKintosh. Ma grand-mère et lui étaient de vieux amis.

— Votre nom.

Elle haussa les sourcils sous l'effet de surprise. Qu'avait Urquhart pour qu'il se mette dans un tel état ?

— C'est un interrogatoire ?

Remarquant son ton sec, l'homme lui tourna le dos. Il installa le rétroviseur de façon à pouvoir observer ce teint de porcelaine et les iris aussi gris que le ciel écossais. La main sur les clés, il tenta sa chance une dernière fois, poussé par son devoir de citoyen.

— Retournez d'où vous venez mademoiselle. Une jeune femme aussi délicate que vous ne devrez pas traîner dans des endroits pareils, lui conseilla-t-il d'une voix sombre.

— Je vous remercie pour votre sollicitude, répondit-elle, mais je pense pouvoir m'en sortir contre deux ou trois highlanders. Ils seront trop occupés à protéger ce qui gigote sous leur kilt avec un vent pareil ! plaisanta-t-elle.

— Je vous aurais prévenu, bougonna-t-il avant de se mettre en route.

Bercée par les roulis de la voiture et le silence réconfortant, Moana s'endormit. Ne prêtant pas plus attention à l'avertissement du chauffeur de taxi.

Ce que cache un kilt doit rester secret !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant