Chapitre 34

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Egon n'avait pas l'habitude de faire ce genre de choses. Il était le souverain pontife des SAQUA, un être réputé pour sa sagesse et pour sa neutralité. Mais surtout, pour son attitude passive. Pourtant, il venait de prendre par dans une affaire qui ne le concernait pas directement. Egon se mordit la lèvre tandis que le vent jouait avec sa chevelure.

Les seigneurs l'avaient regardé étrangement, presque choqués par son initiative. Il n'avait pas tout de suite pris conscience de son intervention. Généralement, il avait l'habitude d'écouter les Maîtres SAQUAS se prendre la tête pour un rien et se chercher bagarres tels des enfants. Il y avait fort longtemps, depuis la Grande Guerre plus précisément, qu'un sujet réellement important n'avait été exposé.

Intervenir lui avait paru la chose la plus naturelle au monde. Facile aussi. Il avait sorti les mains de ses larges manches, décroisé ses jambes afin de se lever puis avait prononcé d'une voix haute et claire : 

« L'hybride Moana, fille d'Aonghas, défunt seigneur des kelpies, et actuelle prisonnière d'Urquhart sera placée sous ma protection à partir de demain et ce, jusqu'à ce que je le juge nécessaire. Je refuse qu'un membre de notre communauté soit condamné à mort sans que nous ayons pu approfondir toutes les possibilités. 

N'oublions pas que nous parlons d'un membre non initié à nos règles et coutumes, aussi je demande au Conseil de prendre du recul et de ne pas sanctionner trop durement cette jeune femme ».

Plus tard, une fois de retour entre les murs sacrés qu'ils considéraient comme sa maison, Egon avait beaucoup ri des réactions de ses congénères. Pouvait-il les blâmer ? Lui-même avait été diablement surpris d'entendre sa voix. Il n'avait pas le souvenir d'avoir parler autant et cependant, Moana avait réussi à faire de lui un moulin à paroles.

C'était déconcertant la manière dont cette jeune hybride avait su mettre sans-dessous une société régie par des règles vieilles comme le monde. Mais peut-être que le problème se situait au cœur même de leur organisation. Ils s'étaient enfermés dans leur bulle de confort sous prétexte que les Humains ne respecteraient jamais l'accord de paix. 

Or, Egon comprenait maintenant qu'ils s'étaient trompés sur toute la ligne. En se repliant, en refusant de s'approprier les technologies humaines et d'évoluer, ils s'étaient eux-mêmes condamnés à la soumission. Ils n'étaient pas prêts pour un nouvel affront. Il espérait qu'ils ne s'en rendraient jamais compte...

Egon y avait pensé pendant très longtemps : pourquoi est-ce que Colette avait pu pénétrer les barrières d'Urquhart ? D'autres cas, cachés du Conseil par peur des représailles, existaient-ils ? Il n'y avait que deux réponses possibles, et aucune des deux n'étaient de bonne augure. La première sous-entendait que certains SAQUAS s'étaient laissés aller au plaisir de la chair avec un ennemi —consentant ou non— pendant la Grande Guerre. 

Ils avaient non seulement enfreint une des lois les plus sacrés de leur peuple mais ils avaient aussi créé une nouvelle espèce : des hybrides, capables de s'aventurer tant en territoire humain que SAQUA. Et cela posait problème. Qui les arrêterait si le gouvernement humain décidait de les recruter comme soldats ?

La deuxième hypothèse trahissait l'existence d'humains capables de résister à la magie lunaire. Egon avait cru que Moana faisait partie de ses derniers avant d'apprendre qu'elle était la fille d'Aonghas. Joli coup de poker, Egon ne s'y était pas attendu de la part de son vieil ami.

Si Moana héritait du sang de son père, quand était-il de sa mère ? Comment Colette était-elle entrée ? Ils avaient supposé qu'Urquhart l'avait acceptée puisqu'elle était atteinte d'une maladie mortelle... Cependant, rien n'affirmait qu'il s'agissait là de la véritable raison. Soit Colette était l'une des héritières des enfants conçus pendant la Grande Guerre, soit elle pouvait résister à la magie de leur déesse. 

Egon refusait de penser à cette possibilité de si tôt, trop extrême pour lui. Il restait donc une dernière hypothèse : les Humains avaient réussi, d'une manière ou d'une autre, à berner leur protection, à reproduire leur ADN.

Egon sentit la peur s'insinuer insidieusement en lui. Il devait parler de ces hypothèses au Conseil mais il doutait que la jeune hybride qu'il avait accueilli sous son toit puisse s'en sortir vivante. A moins de se servir d'elle pour acquérir les informations qui leurs seraient utiles. Et après ?

Egon soupira lourdement, il sentit la fatigue peser sur ses épaules. Il avait eu une vision. Leur Mère souhaitait qu'il la protège. Il se trouvait donc dans une impasse car certains seigneurs n'hésiteraient pas à aller en contre de Son désir pour protéger ce qu'ils possédaient. 

Cette fois-ci, Moana avait eu de la chance. 

Elle ne survivrait pas à la prochaine confrontation. 

Ce que cache un kilt doit rester secret !Where stories live. Discover now