Chapitre 4

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Et c'est ce qu'elle fit. 

Moana abandonna ses vêtements sur le sol de la chambre pour entrer dans la baignoire aussi nue que le jour de sa naissance, ignorant la chemise de bain qu'on lui avait laissé. Des tapis étaient accrochés aux murs, des peaux animales recouvraient les pierres et retenaient le froid qui en émanait. La jeune femme se glissa dans l'eau, savourant la morsure crée par la différence de température. 

Moana ronronna de plaisir au moment où le parfum de lavande frappa ses narines. Ses muscles se détendirent. L'indignation qu'elle ressentit lorsqu'Emrys, après l'avoir si gentiment permis de rester, la consigna dans sa chambre telle une enfant s'évapora. Elle posa sa nuque sur le bord de la cuve et ferma les yeux.

Le soleil entama sa descente. Le ciel se teinta d'un rouge passion avant d'éclairer les courbes de la vallée d'une lumière dorée. Puis, aussi soudainement qu'elle était apparue, la lumière disparut. Et la nuit s'installa sur Urquhart.

Lorsque Moana se réveilla, l'eau avait refroidi. Il lui fallut un moment pour comprendre où elle s'était endormie et la raison de sa présence en Ecosse. Une serviette de bain reposait à côté d'elle et le feu, qui devait être cendres, continuait à réchauffer la chambre. Les habits sales abandonnés au sol n'étaient plus là. Quelqu'un était entré sans qu'elle ne note sa présence. A moins que ça soit cela qui l'est justement réveillée. 

Moana sortit de la cuve pour s'emmitoufler dans la douceur spongieuse de la serviette. De petites flaques se formèrent autour de ses pieds et la suivirent lorsqu'elle se dirigea vers la fenêtre. Le ciel était magnifique ce soir. Vivant dans une ville en perpétuelle effervescence, la française avait rarement l'opportunité de voir les étoiles. Et pourtant, ici, en Ecosse, elles illuminaient la Terre de leur élégance.

Ce fut à cet instant qu'elle les entendit : les sabots qui martelaient la cour, les sons saccadés, étouffés par la grosseur des pierres et les clapotis sinistres qui rompaient la quiétude nocturne.  Moana se mit sur la pointe des pieds pour voir l'extérieur mais l'obscurité régnait. Les bruits devaient provenir des vaches Highlands sagement attachées à une barrière en boisqu'elle avait reconnu cet après-midi. Des sortes de bisons domestiques aux poils longs et roux, pourvus de courtes pattes et de longues cornes élancées et incurvées. 

Moana délaissa la fenêtre pour s'asseoir sur le lit. Elle tendit la main vers la douce fourrure gris crème qui lui donnait envie de se laisser bercer par Morphée. Ses paupières s'affaissèrent, dormir encore un peu lui ferait du bien. Mais son estomac grogna, lui rappelant qu'elle n'avait rien avalé depuis ce midi. Avec un soupir, Moana piocha dans la coupe de fruits apportée par Lorna puis étala le beurre mis à sa disposition sur l'épais pain de campagne. C'était une nourriture simple et peu onéreuse, surprenante pour une invitée du laird

Peut-être s'étaient-ils dit qu'un repas frugal lui irait mieux. Ou était-ce là leur manière de lui faire part du mécontentement qu'avait suscité l'invitation déclinée d'Emrys ? Moana écarta cette idée. Lorna avait eu l'air de comprendre son état de fatigue. Après tout, elle avait fait un long voyage pour découvrir que les dernières volontés de sa grand-mère ne pouvaient pas être respectées. Puis une évidence la frappa soudainement. 

Le notaire refusera de lui transmettre le carnet de mamie Colette puisqu'elle n'avait pas accompli son devoir. Une grosse larme roula sur sa joue nacrée. C'était pathétique de pleurer pour cela. Elle n'était pas vraiment matérialiste, cependant, ce carnet était la seule chose qui la rattachait encore à elle. Adios, les secrets de grand-mère ! Adios, le récit palpitant de sa vie ! Adios, mami Colette...

Moana se leva avec brusquerie, submergée par un trop plein d'émotions. Elle ne voulait plus pleurer, elle ne pouvait plus pleurer, elle n'en avait plus la force. Colette n'aurait pas voulu qu'elle se laisse aller ainsi. D'air, elle avait besoin d'air. La jeune française ouvrit la fenêtre puis se pencha aussi humainement qu'il était possible sans risquer de tomber dans l'abysse sous elle. Une légère brise fit voleter les quelques mèches qui lui retombaient sur le visage. 

Tournant la tête, la jeune femme constata étonnée l'existence d'une plage de taille modeste dans laquelle étaient accostés deux bateaux de pêche. Et là, dans un rythme alterné de va-et-vient, des équidés s'amusaient dans l'eau. Moana plissa les yeux pour essayer de percer l'obscurité.

— Impossible, susurra-t-elle.

Elle hallucinait, elle perdait les pédales ; il n'y avait pas d'autres explications possibles. Moana se frotta les paupières. Elle s'inclina un peu plus, risquant de glisser, sa plante de pieds ne touchant plus le sol de la chambre. Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête. Une multitude d'hypothèses fourmillaient sur le bout de sa langue. 

  — Impossible, répéta-t-elle.  

Son regard ne quittait pas le spectacle qui se présentait à elle. Réalité ou illusion ? Moana se pinça la peau entre l'index et le pouce. Le paysage devint flou. Moana ne voyait plus qu'eux, ne distinguait plus qu'eux, ne croyait plus qu'en eux. A leur existence, à la découverte historique qu'elle venait de faire. Un halètement expectatif s'échappa de ses lèvres. Sa main tremblante froissa le tissu cotonneux de son pyjamas.

Ils étaient toujours .

Créature mythique, légende éveillée.

Silhouettes hybrides.

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