VI

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Lord Alexander Sky, 17 décembre 3260, 12h43, Hartfield House

- Lord Alexander, puis-je vous demander de poser pour que je fasse un portrait de vous ?

Je redresse la tête, que je gardais jusqu'ici pencher vers mon assiette, pour considérer l'étrange proposition de Lady Anastasie.

- Je n'y vois pas d'objection, mais, pourquoi me solliciter pour une telle chose ?

- Voyez-vous, mon cher Simon trouve que je manque d'inspiration en ce moment. Vous comprendrez, qu'il m'est difficile de faire une telle requête à quelqu'un d'autre qu'une personne de confiance, voilà pourquoi je vous le demande.

- Voilà quatre jours que je séjourne ici, et vous me considérez déjà comme une personne de confiance.

- Mon frère vous fait confiance, cela me pousse à croire que je peux faire de même.

- J'espère bien.

Je regarde Simon qui sourit, amusé par la situation.

13h38

Je frappe à la porte ouverte de l'atelier de Lady Anastasie.

- Entrez, dit-elle de derrière son bureau.

Je pénètre dans la pièce et comprends ce qu'elle voulait dire par « manque d'inspiration » ; la quasi-totalité des croquis et des tableaux présents sont des portraits de Lord Victor Grey. Je la vois se frotter les mains d'embarras en remarquant que je me suis aperçue de la folie qui m'entoure.

- Un manque d'inspiration, n'est-ce pas ? dis-je doucement pour ne pas la heurter.

- Lorsque je le peins, j'ai l'impression de le faire revivre pendant quelques jours, quelques heures. Puis, l'image se fixe, le travail se termine, et il retourne entre les morts. C'est le seul moyen que j'ai trouvé. J'ai peur que si j'arrête de le représenter, le souvenir finisse par mourir.

- Je comprends... soufflé-je. Je me souviens à peine de ma mère et cela me brûle le cœur.

- Simon dit qu'il faut que j'arrête, que cela me fait plus de mal que de bien. Mais il ne comprend pas, il ne peut pas savoir ce que cela fait d'avoir perdu la personne qui lui est chère.

- Était-ce cela le sujet de votre dispute d'il y a deux mois ?

- Alors il vous l'a dit... soupire-t-elle.

- Il ne peut rien me cacher, dis-je pour essayer de dédramatiser un peu.

Elle sourit et hoche la tête.

- Je comprends.

- Plus sérieusement, il a été très affecté par ce désaccord, sa lettre témoignait de beaucoup de détresse. S'il vous dit cela, c'est parce qu'il vous aime, il veut vous aider. Et je pense qu'il a raison, si vous arrêter de le dessiner ou de le peindre, vous ne l'oublierez pas pour autant. Mais si vous continuez, cela ne fera que préserver la douleur.

Elle baisse les yeux.

- Je sais qu'au fond, vous avez sûrement raison, mais c'est presque devenu une obsession ; j'ai l'impression que si j'arrête moi aussi je mourrais.

- Anastasie, vous êtes là aujourd'hui, vous avez survécu à l'enfer, ce n'est pas maintenant que vous allez y succomber. Vous avez fait un pas en avant en me demandant de poser pour vous, ne vous arrêtez pas en si bon chemin. (Elle sourit et redresse le regard.) Alors, où dois-je m'installer ?

- J'ai mis le fauteuil ici, dit-elle en désignant le meuble.

- Très bien, dis-je en allant m'asseoir.

LordsWhere stories live. Discover now