VII

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Simon

Moi, ils ne m'ont pas arrêté, et je maudis la terre entière pour cela, l'injustice n'a jamais été aussi flagrante. Au fond de moi, j'ai envie qu'ils viennent me chercher, je ne peux pas accepter qu'il soit le seul qui ait subi cela, je ne peux pas supporter que ce soit moi qui doive.

La reine est intervenue et a réussi à nous faire rendre le corps. Nous l'avons enterré en haut de la falaise qui surplombe sa plage. Un jour, il m'a dit qu'il préférait que son corps soit là plutôt que sous une pierre oubliée au fond du parc d'Arclif. Seul devant la mer, il entretient la légende, les passants se demanderont qui il pouvait bien être, pourquoi il repose ici. Il aime que les gens parlent de lui, maintenant ce n'est pas près de s'arrêter.

Ma main glisse sur la terre humide qui recouvre sa chair, je voudrais m'allonger avec lui dans cette tombe et mourir en étreignant son corps. Mais il n'est pas là, pas dans cet endroit sombre, humide et glacé. Je sens bien qu'il est déjà parti loin, il se repose dans un lieu magnifique. Il est sur une plage, il contemple l'océan en attendant de me voir arriver ; en-tout-cas, il me dirait quelque chose comme cela pour me faire sourire. Alors, mes doigts se détachent de la terre, ils ne sentent que l'espace vide entre eux ; ils se serrent si fort que c'en est douloureux, mais la douleur est plus supportable que la sensation de vide. Je me redresse, je me sens presque vieux, mon corps est fatigué et mon cœur à l'impression d'avoir vécu tout ce qu'il y avait à vivre, maintenant il ne lui reste plus qu'à attendre patiemment.

Je me mets à marcher, c'est comme si mes jambes étaient lourdes et n'existaient pas en même temps. Je descends sur la plage, il y a quelques semaines, nous nous aimions sur le sable sec, aujourd'hui, je suis seul sur le sable mouillé par l'averse précédente.

Dans ma poche, je trouve la lettre qu'il m'a laissée, elle est cornée et froissée par endroits, comme s'il avait vécu des milliers d'histoires avant qu'Alexander y écrive ses mots. Les mains prises d'assaut par des tremblements, je déplie les quatre feuilles de papier qui attendaient. Je ne sais pas si je vais y arriver, je ne sais pas si j'en ai envie. Si je ne le fais pas, ce ne sera jamais vraiment fini, il aura encore des mots à me dire...

Mon cher Simon, mon amour,

Vais-je réussir à commencer correctement cette lettre ? Vais-je réussir à la finir... ? Moi qui aime avoir le bon mot, découvre qu'il n'est pas si facile de trouver le dernier. Les romans m'ont menti, les tragédies ne sont pas aussi claires qu'ils voudraient nous le faire croire, il est dure de créer le dernier souvenir que vous aurez de moi. Je tâcherai de parler avec le cœur. Nous avons souvent usé de phrases compliqués et grandiloquentes pour exprimer nos sentiments, aujourd'hui je me rends compte que c'est parce qu'on ne peut pas vraiment les exprimer pleinement, alors, s'il vous plaît, pardonnez mes propos qui seront éparpillés.

Suivons la logique des choses, commençons par le début. Un froid et pluvieux après-midi du 2 décembre 3258, quelques minutes – exactement – après quinze heures, j'ai croisé votre regard pour la première fois ; immédiatement, j'ai vu dans vos yeux un océan, un océan d'émeraude, une immensité dans laquelle je me suis sciemment laissé noyer. Ce regard a fait battre et s'arrêter mon cœur, au gré de vos saisons, il est maintenant la dernière lueur du crépuscule avant que ne tombe la nuit.

Je suis si vite, trop vite, tombé amoureux de vous. Amoureux de votre musique. Amoureux de votre amour pour la mélancolique folie du poète. O, mais comme je vous ai détesté pour cela. Parce que vous vous refusiez à moi alors que vous aviez emprisonné mon cœur dans une cage. Comme je vous ai détesté pour vos mille douces attentions, vos mille suaves paroles et mille regards infernaux, toutes ces choses que vous finissiez par me refuser. Faute de réellement pouvoir vous en vouloir plus qu'à moi-même, je me reprochais tout ce qui faisait de moi cet être éperdument amoureux. Je me suis détesté, faute d'arriver ne plus vouloir de vous. Vous m'avez fait pleurer, Simon. Vos reproches m'ont fait pleurer, votre absence m'a fait pleurer, votre malheur m'a fait pleurer. Et aujourd'hui, je pleure à l'idée de ne jamais vous revoir.

LordsWhere stories live. Discover now